Scénographie. Le monde va mal. La société va mal. Les hommes vont mal. Tout va mal, très mal. L’Europe est en crise, à son chevet les États-Unis qui la regardent, la corde autour du cou. La mondialisation, ou globalisation a annihilé le reste. L’Europe ne dort que d’un œil, de l’autre elle scrute la Statue de la Liberté en train de préparer son nœud coulant : elle apprend. La Nature, au sens écologique du terme, pleure des torrents de mousson, essaie de noyer ce qu’elle a laissé faire, contrainte et forcée. L’angoisse humaine commence à réapparaître. Sur son divan, l’Homme se demande qui il est véritablement. Il ne sait plus où aller, il réclame un « cap » et on lui donne un « horizon », qui, comme son nom l’indique, s’éloigne à mesure qu’on avance vers lui. Suis-moi, je te fuis. Il connaît son passé, son Histoire, mais il commence à douter sur l’usage et les interprétations qu’il en a fait. Comme le pense Heidegger, l’Homme ne doit pas saisir son passé, son Histoire en tant qu’une simple somme accumulée de vécus, pêlemêles ou édifiés comme le développe Husserl, mais un mode d’être, une façon d’exister. Or j’ai beau être au plus près de moi-même, je ne suis jamais, au grand jamais à l’abri de l’Erreur. Difficultés et doutes sur le meilleur style d’incarnation du passé à adopter, à la fois propre à chacun et commun à tous. Méconnaissance de son Histoire, répétition des mêmes (t)erreurs.
Crisis universalis. Crise financière. Crise économique. Crise culturelle. Crise sociale. Crise idéologique. Crise identitaire. Crise cardiaque. Tout est noir, à refaire, à changer, à bousculer. Faisons un rêve: rêvons que ce soit le « geste heideggérien » de destruction, de désobstruction, que le changement n’est pas juste là pour changer mais pour reconstruire un terrain propice à de meilleur questionnement, un sol où le terreau permettrait aux jeunes pousses comme aux vieux chênes, de prendre racine, solidement. Mais pour se diriger vers quoi? Pour aller vers un idéal supplémentaire, un nouvelle -isme fossoyeur de l’Humanité? Aucunement. Vers des idéaux artificiels, sans saveur, aseptisés? Aucunement. Dernier bilan avant liquidation des idéologies. Recyclage en cours…
Communisme, Nazisme et Fascisme. Ils sont les trois grands totalitarismes qui ont transpercé le XXème siècle, dans le sang et la souffrance, inscrivant à tout jamais la cicatrice de l’homme qui se suicide et assassine simultanément. Une sorte d’ambivalence de la mort de l’Europe, qui n’est en rien une nouveauté. Leurs spectres respectifs planent dans les esprits nostalgiques ou pétrifiés, à l’idée qu’au moindre mot plus haut qu’un autre, qu’à la seule idée de la radicalité, que les mêmes terreurs resurgissent. Ces mêmes qui glorifient à outrance la Révolution française. Paradoxal. Robespierre ou l’initiateur de l’usage de la Terreur.
Christianisme, Judaïsme et Islamisme. Le cas des trois monothéismes est plus profondément ancré dans nos consciences, de sorte que dans « l’Histoire de l’Humanité », comme pour le cas des totalitarismes, l’homme se présente avec sa grande hache – pour plagier le bon mot de Georges Pérec. De l’idéologie à la religion, il n’y a qu’un pas. Ils ont su avec douceur et sournoisement, gangrener les hommes qui y ont plongé sans la bouée de sauvetage que sait être la Philosophie. Certes, sans les religions, le monde ne se serait jamais construit de la même façon, mais cela aurait-il été pire ou mieux? On ne connaîtra jamais la réponse à la question. Comme dirait l’autre – je dis « l’autre » non pas par mépris mais car son nom importe peu ici – les religions ne sont que des sectes qui ont réussie commercialement. Ce que nous pouvons observer factuellement, c’est que l’obscurantisme religieux n’a pas fait des lumières, et a empêché le progrès d’obtenir éternellement ses lettres de noblesse.
Progressisme. Le progrès ne s’est finalement dessiné dans les sociétés comme une idéologie totalitaire contre les autres idéologies religieuses et faussement spirituelles. Le progressisme se croyant le plus farouche opposant au conservatisme religieux et traditionnelle n’a rien produit de mieux qu’un système suffisant – dans tous les sens de termes. Les progressistes ont reproduit, sur le concept de progrès, la dérive intellectuelle marxienne de « jesuschristianisation » du prolétariat: comme ici, le progrès n’est plus devenu un moyen mais une fin, un vaste et restrictif idéal vers lequel tendre, sous prétexte qu’il serait en son essence porteur du Bien, de la Justice, de la Vérité.
Capitalisme, Libéralisme et Marxisme. Les idéologies économiques et financières ne sont pas mortes, bien au contraire. Elles sont plus que jamais vivantes, le capitalisme comme invincible mais en rien inoxydable ; le libéralisme qui s’est instauré sans haine ni arme ni violence, en nourrissant les libertaires depuis 1968 ; le marxisme qui renie Marx lorsqu’il est levé comme étendard sanglant du soviétisme de Staline, mais tend le bout de son nez, avec comme poumon droit Slavoj Zizek et comme poumon gauche, Alain Badiou. Crise d’asthme. Ils ne marchent pas main dans la main. Ils sont condamnés à vivre en colocation sur le territoire européen, étendu à l’Occident, à entreposer leurs vivres respectives dans le même réfrigérateur idéologique, menottés les unes aux autres. Autosuffisance et interdépendance sont l’essence de leur survie dans les eaux marécageuses de l’alter-mondialisme.
Féminisme. Qui va de pair avec le progressisme ambiant. Etre féministe c’est l’obligation morale visant la contrainte intellectuelle. Passage en force. Les causes sont louables, les effets sont discutables, les raisons sont déplorables. Le féminisme est devenu un machisme pour femme.
Mais l’Homme est de retour. Rejet des structures financières, des politiques purement bureaucratiques, qui traitent l’Homme comme un numéro, un code barre de plus. Le capitalisme libéral n’est plus la religion à la mode : elle consomme les individus, prend, dévore, jette. Ce qu’elle a jeté – à tort ou à travers – renaît de ses cendres – pour le meilleur et pour le pire. Les religions et les philosophes, plus ou moins main dans la main, remettent enfin l’humain au centre : dans les religions, l’Homme doit se relever, combattre ce qui l’oppresse, le déshumanise ; les philosophes ne sont plus en majorité les chiens de garde tant décriés par Paul Nizan. Désormais, ils parlent de l’Homme en connaissant les hommes, leur complexité, les contingences économique, sociale et politique dans lesquels ils baignent en eaux troubles, la tête hors de l’eau à la limite de la noyade – le marxisme, la sociologie ainsi que les évènements historiques du XXème siècle étant (re)passés à la lumière de leur mémoire. Même les politiques s’y essayent, par sincérité ou opportunisme, on ne saura jamais. Le XXIème siècle ne fait que débuter…
© Jonathan Daudey
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Merci. Heureuse de vous découvrir. Tout comme, récemment. Robert Misrahi et Marcel Conche et…. Montaigne.
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J’espère que mes prochains écrits seront toujours à votre goût. Les comparaisons sont flatteuses. Heureux de vous accueillir, nouvelle lectrice, ici-même. Philosophiquement vôtre!
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Ramassis de conneries communistes.
Il faudrait au moins donner une chance au capitalisme avant de le critiquer. La France est socialiste depuis au moins 40 ans.
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Le capitalisme fait loi en France, et dans la majeure partie du monde depuis au moins deux siècles. De plus, une critique du capitalisme libéral, montrer les fissures et les dangers qu’il fait naitre, n’implique pas nécessairement un point de vue « communiste »: la critique peut venir du capitalisme lui-même, ou même sans bord ideologico-financier. Puis, je ne parle pas de la France en particulier, mais une considération universelle, d’un monde qui s’est plongé de plein gré dans une crise humaine avant tout. Enfin, la politesse et la correction seraient bienvenues de votre part.
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Une certaine plume et un esprit qui m’accrochent en un instant, je suis heureux d’avoir découvert ce blog.
Je partage de nombreux points que vous exposez et j’admire déjà l’étendu des connaissances dont vous semblez disposer – au vu des références du moins – qui me montre que mon goût pour la philosophie pâtit de ma faible expérience.
Cependant, le passage concernant l’obscurantisme religieux m’a fait réagir. Il me semble découler, à défaut du reste du texte, d’une certaine facilité intellectuelle et historique, d’une vision « commune à tous » et sans réelle réflexion, posant comme synonyme religion et obscurantisme, donnant comme unique résultat de la « croyance » en ces « sectes » l’incapacité d’avoir une réflexion et d’apprendre, de connaitre, de douter.
Pourtant, nombres de grands hommes d’esprits étaient croyants, l’un n’exclut pas l’autre, à mon avis…
« Le coeur a ses raisons que la raison ignore ».
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Tout d’abord je vous remercie pour vos compliments qui sont tout à fait plaisant !
En ce qui concerne votre remarque, je pense que, bien que j’use du terme d’ « obscurantisme » clairement dans la partie sur les trois monothéismes, cette notion se trouve tout aussi bien dans ces autres -ismes, de manière plus ou moins franche.
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Capitalisme, Marxisme, Libéralisme, ces idéologies ne sont au final qu’un seul et même système qui joue la comédie et revêt des masques pour nous donner une illusion de choix.
Système utilisant les religions comme distraction du peuple (religions qui ne pourrait pas vivre seules tant elles ont besoin des autres pour déverser leur haine, preuve de leur superficialité).
La politique aussi étant l’un de ses subterfuges, la république n’étant qu’une oligarchie où les plus forts se font passer pour d’honnêtes défenseurs de la liberté et sont élus sur leur image plus que sur leurs idées. Un habile stratagème où s’opposer à eux, c’est s’opposer à la Liberté, à l’Egalité, etc… (les valeurs nobles) vous discréditant et les rendant ainsi intouchables, les confortant dans leur position.
Les rares idées (bien que encore grossières) se frayant un chemin depuis l’extérieur du système sont classées dans la catégorie « excentrique » et sont enterrées au fond du jardin avec l’Anarchisme… Bref le monde est une spirale infernale qui se protège et s’entretient elle même, pour un acte vertueux, cinq trahisons se fomentent…
J’ai alors des questions qui me turlupinent:
– Est-ce que l’inéluctable crash du système qui approche est une véritable opportunité de construire quelque chose de nouveau, ou est-ce que le système est à ce point élaboré qu’il renaîtra de ces cendres en nous donnant une illusion de nouveau départ ?
– Est-ce qu’il existe un moyen autre que la destruction physique (genre le massacre quoi) pour purger la Corruption du monde, la Corruption étant, selon moi, les personnes gangrenées par le mal au point d’être irrécupérables (les lobbyistes, les conspirateurs financiers, les vieux technocrates, etc…)
– Est-ce que le Hasard et le Chaos ne sont pas, au final, les seules vérités dignes de confiance ?
– Est-ce que l’Humanité est capable d’accomplir une ascension spirituelle ou est-elle vouée à la destruction ?
Merci d’éclairer ma lanterne et désolé pour l’énooooorme pavé que je viens de pondre, mais comme vous avez dû le remarquer, je suis quelqu’un qui n’a pas foi en l’Humanité ! (j’aime le contact humain et les relations sociales mais la disparition de notre espèce est selon moi plus un bien qu’un mal).
PS: Désolé si des fautes se sont glissées dans mon texte mais je viens de passer la journée à écrire, mon cerveau sature !
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