Phénoménologie/Phénoménologie et marxisme/Philosophie

Phénoménologie et marxisme | Une dialectique de la dialectique

Edmund Husserl

Edmund Husserl

Comment lier cette conception d’un sujet support de toute signification avec les aboutissements de la dialectique marxienne, selon laquelle  le matériel est le socle sur lequel va se bâtir l’idéel ? Pour éviter de simplement les juxtaposer, il semble que le concept husserlien plus tardif de Lebenswelt soit de quelque secours.

Mais comprenons d’abord ce que signifie la dialectique chez Marx, et en quoi consiste l’opération de renversement marxienne. Celle-ci se fait jour dès la critique de l’idéalisme à laquelle Marx et Engels consacrent L’Idéologie allemande (1846). Selon ce traité, la critique de Hegel n’a jusqu’alors pas porté ses fruits parce qu’aucun des jeunes hegeliens ne s’est interrogé sur le lien du philosophe avec son milieu matériel. Si la dialectique hegelienne « marche sur la tête »[1], c’est qu’elle maintient une préséance de la pensée sur l’être, alors qu’aucune pensée ne peut s’établir sans être. Le monde matériel est le socle de toute pensée et, de surcroît, de toute philosophie. Le premier factum à constater avant de bâtir une théorie philosophique est donc l’organisation corporelle de l’homme, sa matérialité. Le philosophe n’est pas un être supra-naturel : il a besoin de moyens de subsistance pour penser. Il est producteur de ses idées selon une activité similaire à toute autre activité de production. Les plus fervents défenseurs du matérialisme n’ont rien renouvelé dans la doctrine, puisqu’ils ont persisté à concevoir le domaine des idées comme abstrait du matériel, alors même que les idées sont en relation permanente avec ce sol dont elles émanent. En allemand, le terme de renversement (Umwertung), laisse entendre la notion de valeur (das Wert). Le renversement fournit  l’occasion d’une re-valorisation du matériel. Mais celle-ci ne doit pas prendre la forme d’une justification. Considérer la valeur du matériel, c’est ici considérer son poids sur la pensée, et l’inflexion qu’il lui apporte.

En ce qui concerne le marxisme,  il est absolument nécessaire d’émettre une distinction entre la théorie de Marx en elle-même et le marxisme-léninisme, qui exacerba un des aspects de la première, le « matérialisme dialectique ». Notons que l’expression n’apparaît jamais chez Marx, et qu’Engels ne l’emploie qu’à partir de 1886. L’absence de la formulation dans les textes originels du marxisme indique que le matérialisme dialectique ressortit d’une lecture particulière de Marx, qui le transfère directement depuis la théorie jusqu’à un cadre pratique. Pour les tenants du marxisme-léninisme, à commencer par Lénine lui-même, les conditions matérielles et historiques déterminent l’évolution des moyens de production. Lénine envisage  une logique immanente à la vie naturelle et spirituelle, celle du développement dialectique. Staline fait quant à lui de cette doctrine philosophique le fer de lance de l’U.R.S.S. Le « Diamat », comme il est surnommé, dépasse bien entendu les frontières de l’Union soviétique, et fait des émules en France.

Tran Duc Thao

Tran Duc Thao

Il a pu apparaître à certains philosophes comme une ressource utile à la mise en pratique de la phénoménologie. C’est le cas notamment de Tran Duc Thao. Qu’a permis la phénoménologie ? « En s’attachant à comprendre, dans un esprit de soumission absolue au donné, la valeur des objets « idéaux », la phénoménologie a su les rapporter à leur racine temporelle sans pour cela les déprécier. » Cette ré-évaluation qui tient du renversement est le principal mérite de la phénoménologie, qui entend faire l’étude très précise de l’existence humaine. Cependant, selon Thao, cette description ignore la praxis, alors même que celle-ci devrait être considérée comme fondement de l’intentionnalité. Dans sa préface à Phénoménologie et Matérialisme dialectique[2], Thao fait état de ses difficultés à l’écriture de l’essai, et déplore avoir dû renoncer à tout espoir de concilier le concept de la phénoménologie avec son résultat effectif. Mais il faut se mettre à l’écoute d’une évolution dans la pensée de Husserl, et ce même si ce dernier s’est prononcé contre la vision dialectique de la philosophie transmise par Hegel[3]. La phénoménologie a manifesté un effort constant pour donner à sa méthode une pratique. Cet effort est celui du « retour aux choses ! »[4] (zurück zu den Sachen selbst !), devenu peu à peu le cri de ralliement de la phénoménologie. Or ce retour aux choses n’a pu se réaliser effectivement que dans le tournant anti-cartésien de Husserl. Alors que le premier Husserl, dans les Ideen, ou dans Les Méditations cartésiennes I à IV, constituait, comme on l’a vu, une égologie transcendantale, prenant le sujet comme fondement du monde, les derniers ouvrages husserliens changent de point de vue : ils présentent le monde de la vie (Lebenswelt) comme pré-donné originaire de toute signification intelligible et source vivante de toute vérité. Cette Lebenswelt, pour Tran Duc Thao, se révèle être l’histoire humaine. Le moi se constitue donc historiquement, et relativement à la Lebenswelt.

L’idéalisme phénoménologique est alors en lui-même dépassé dans le vécu, et la genèse du monde dans l’ego cogito se confond avec le devenir effectif de l’histoire. Le renversement dialectique a bien lieu chez Husserl, sans même qu’il l’identifie : le monde de la vie est posé comme condition de la genèse de l’ego, le réel comme condition de l’idéel. Husserl se trouve pour Thao embarrassé par un philosophème qu’il conserve en dépit de ce renversement : l’ego absolu. Celui-ci est devenu un phénomène, non au sens de la phénoménologie, mais au sens proprement marxien, puisque dans sa force idéologique, il dissimule la valeur créatrice du travail humain. Parallèlement, le sujet transcendantal a tendance à s’identifier de plus en plus avec l’homme leibhaft (en chair et en os), et par là avec l’homme social. Lorsque Tran Duc Thao relit Husserl par le prisme du matérialisme dialectique, il s’attarde sur la considération portée par le philosophe à la phénoménologie de la chose (Ding) : « la matérialité (Dinglichkeit) n’est pas un simple substrat indifférent aux significations qu’il porte. Elle définit la couche originaire dont le mouvement engendre les modes plus élevés de l’être, dans la spécificité de leur sens, l’infrastructure réelle qui fonde les superstructures idéales dans leur surgissement historique et dans leur valeur de vérité. »[5] Le terme de superstructure, mis en évidence dans le texte, est issu du vocabulaire marxien. Les superstructures désignent dans le marxisme le politique, le religieux, le juridique, en un mot l’idéologique. Selon Thao, l’idéologie est dépendante de la matérialité. Il parle d’un mouvement ou d’un processus qui va du matériel simple, l’artefact ou le minéral, jusqu’à l’homme qui est à la fois un être spirituel et matériel. L’usage de ce vocable appliqué à la phénoménologie husserlienne ne relève pas du télescopage. Sa lecture marxiste permet à Thao de rendre compte de ce qu’il pense être les apories de la phénoménologie : « l’horizon même de la phénoménologie détourne le regard du phénoménologue des données réelles qui définissent pourtant le contenu véritable de sa réflexion. »[6] Ces données n’apparaissent que comme significations générées par le moi. Or, une contradiction importante apparaît, car la phénoménologie, en tant que description, doit toujours se rapporter au monde, donc au matériel. S’il y a problème, c’est dans la structure de l’intentionnalité, qui pose que « le monde est idéalement dans ma conscience, alors que je suis réellement en lui. » Cet état de fait résume et concentre une multiplicité de points très problématiques aussi bien dans la phénoménologie que dans le marxisme.

Martin Heidegger

Martin Heidegger

Heidegger pense déjouer l’aporie et s’extraire du labyrinthe de la phénoménologie en transformant l’ego cogito en un Dasein, être-là, qui est de fait (tätlig) au monde. Mais cette présence au monde, même si elle assure une inscription dans le temps (Dasein existiert zeitlich : « le Dasein existe temporellement »), ne résout rien, pour Tran Duc Thao. Ce dernier considère la réponse de Heidegger et des philosophes inspirés par sa démarche comme une mystification. Elle ne justifie pas du tout ce hiatus entre le réel et l’idéel, entre le monde extérieur et l’intériorité du phénoménologue. Seule une solution aux obstacles de la phénoménologie se présente pour Thao : il s’agit de la dialectique marxiste. Lorsqu’on applique cette dialectique à la phénoménologie, on en vient à la considérer elle-même comme produit humain, dépendante de la condition sociale et matérielle de celui qui applique sa méthode : « Le sujet s’approprie idéalement l’objet en le reproduisant dans sa conscience. »[7] Cette reproduction idéelle est bien l’horizon que doit viser la phénoménologie. Penser n’est alors plus qu’un retournement de l’autre en même, qu’une appropriation d’un produit.

Les philosophes, Husserl compris, s’illusionnent sur les significations intentionnelles, en croyant qu’elles se sont imposées au monde réel ; ils font erreur sur la genèse de celles-ci. Cette illusion est due à leur ignorance du monde matériel, à leur manque d’expérience du travail réel des classes exploitées, en tant qu’ils sont eux-mêmes les membres d’une classe exploitante. La phénoménologie fait du travail matériel un pur mécanisme, le dépréciant, au lieu de considérer la dialectique que celui-ci renferme, la force créatrice qu’il implique. Husserl témoigne, dans son tournant anti-cartésien, d’une tentative d’abolir cette distance vis-à-vis du monde. Tran Duc Thao analyse en ces termes le devenir de la pensée husserlienne : « le mot d’ordre fameux du « retour aux choses mêmes ! » prenait de plus en plus ouvertement le sens d’un retour aux réalités sensibles du monde de la vie. »[8] Cette évolution montre une aspiration constante de l’idéalisme vers le contenu réel.

Il est difficile de considérer que Husserl n’ait pas été conscient de ce revirement. Pour Merleau-Ponty, Husserl n’a en effet pas cessé de s’interroger sur la possibilité réelle d’une « réduction phénoménologique ». De plus en plus sensible au fait indéniable que nous existons avant de réfléchir, il a fini par assigner comme première tâche au phénoménologue la description de ce monde vécu (Lebenswelt) socle de toute représentation. Réduire la théorie de Husserl à une égologie, c’est ignorer les changements qui infléchissent toute pensée, et qui font sa puissance. De cette conviction de plus en plus forte dans la phénoménologie d’une antériorité du matériel sur la pensée, Jean-Luc Marion tire une théorie de la contre-intentionnalité[9] : je vise les choses parce qu’elles m’appellent et m’attirent, parce qu’elles sont des saillances dans l’étoffe du matériel. Ce que l’on peut bien nommer un renversement de l’intentionnalité consiste à considérer que certains effets de sens des objets s’établissent en soi et par soi.

C’est en ce sens que le retour aux choses signifie le positivisme même. Husserl, dans un de ses premiers textes, se déclare ironiquement le plus positiviste des positivistes : « si par positivisme, on entend l’effort, absolument libre de préjugé, pour fonder toutes les sciences sur ce qui est “positif”, c’est-à-dire susceptible d’être saisi de façon originaire, c’est nous qui sommes les véritables positivistes. »[10] Le positivisme commun est naïf, puisque s’appuyant sur une prétendue neutralité du monde, il considère que le sens du monde préexiste à notre esprit, et que les choses sont au monde sans que nous y soyons pour rien. S’appuyer sur les faits signifie alors revenir au pré-donné originel, libre de toute signification imposé par la subjectivité, ou de tout symbolisme. Le retour aux choses n’est donc pas un réalisme candide : il s’agit de revenir à leur archi-origine.

Jean-Paul Sartre

Jean-Paul Sartre

Merleau-Ponty déclare à ce propos : « l’homme n’est pas dans la société comme un objet dans une boîte, il l’assume par ce qu’il a de plus intérieur. »[11] Peut-on alors résoudre cette fameuse dialectique du constituant/constitué – à savoir que le sujet soit constitué par le monde, et le constitue également, qui se fait jour aussi bien dans le marxisme que dans la phénoménologie ? Et quel est le rôle du philosophe dans cette entreprise ? Dans Les Aventures de la dialectique, Merleau-Ponty constate un empiétement du théorique et du pratique. Ce qui est en cause dans cet essai est la discussion de l’engagement sartrien. L’engagement s’inscrit dans une conception particulière de la conscience chez Sartre, comme opposée frontalement au monde. Sa philosophie est celle de la conscience constituante. Or, si l’on conçoit le rapport de la conscience au monde de cette façon, on manque son ambiguïté. Ce rapport n’est pas pour Merleau-Ponty un face-à-face, mais un enchevêtrement. Sans accepter le bolchevisme radical de Sartre, Merleau-Ponty reconnaît que le philosophe ne peut adopter une posture méditative face à l’histoire, ne peut se prévaloir de la suspendre, car il est toujours pris dedans. A l’engagement, Merleau-Ponty préfère l’intervention, qui prend en compte un milieu, et l’inscription du philosophe en chair et en os dans ce milieu.

L’action, selon lui, est toujours, simultanément, sédimentation ou rétention des événements précédents, qui sont interprétés, et réactivation d’habitus propres du sujet. La manière de se rapporter au passé évoque la contre-intentionnalité : je me confronte à certaines saillances, dans l’histoire, à certains reliefs qui ne prennent forme que dans un certain point de vue. Si la suspension du jugement est de règle avec le passé, elle est formellement impossible au présent. En effet, attendre que les choses prennent tournure pour décider revient à les laisser être. Alors que, face au passé, l’histoire comme science peut multiplier les vues, face au présent, il s’agit de prendre des décisions absolues. Toutefois, passé et présent ne peuvent être dissociés : « L’histoire est une, qu’on la contemple comme spectacle ou qu’on l’assume comme responsabilité. »[12]

Il existe une mauvaise dialectique : elle est celle qui se fossilise, se naturalise, devient un système Elle est alors conçue comme seule manière de rendre compte des événements et de lire l’histoire. D’après Merleau-Ponty, « Il n’est de bonne dialectique que l’hyper-dialectique. »[13] L’hyper-dialectique est celle qui se critique elle-même, qui se dépasse comme énoncé séparé, qui se dialectise. Deux attitudes se distinguent face à l’histoire dans la philosophie. On peut considérer qu’elle relève d’un déterminisme qui, une fois dévoilé, permet d’anticiper les fins, ou qu’elle est l’expression chaotique des volontés humaines. Cette vision duale ne convient pas à Merleau-Ponty. Pour lui, le tissu des faits historiques comprend des îlots de significations. Il faut persister à considérer l’histoire comme une énigme indéchiffrable, fondamentalement ambiguë : « Notre propos est justement que l’on commence à peine de connaître le social, et jamais d’ailleurs un système de vies conscientes n’admettra de solution comme un mot croisé ou un problème élémentaire d’arithmétique. » Mais l’histoire indique toujours plus impérieusement son sens. Or, pour qu’il y ait une évolution de l’histoire, il faut également une intelligence de celle-ci. La dialectique n’est alors pas le mouvement historique en tant que tel mais simplement le va-et-vient permanent entre la structure diffuse des faits et la conscience des hommes qui les reprennent. Notre expérience n’est jamais rien d’autre que « retournement ».

Portrait de Charles Baudelaire, Gustave Courbet

Portrait de Charles Baudelaire, Gustave Courbet

Dans Le visible et l’invisible[14], Merleau-Ponty s’intéresse de plus près au rôle du philosophe face à l’histoire. Ce rôle ne consiste évidemment pas à surplomber le réel. C’est dans cette conception de la philosophie comme intervention que se présente l’idée du chiasme, qui se substitue peu à peu la dialectique. Le chiasme est une figure de style qui consiste en un croisement d’éléments dans une phrase ou dans un ensemble de phrases. Emmanuel Alloa[15] donne un exemple de chiasme chez Baudelaire, dans le poème A une passante : « Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais. » Les deux mouvements, fuir et aller, sont divergents. Les deux verbes, savoir et ignorer, sont antithétiques. Le chiasme recueille chez Merleau-Ponty le sens d’une rencontre entre deux éléments hétérogènes et traditionnellement opposés, qui cette fois s’entrelacent et sont simultanés. Il ne peut pas être renversé, puisqu’il offre une perspectivité, et va en direction d’un sens nouveau. La relation entre l’extérieur et l’intérieur, entre le monde et le moi, tient de l’entrelacs ou du chiasme. La nouvelle philosophie doit « saisir ce qui fait que le sortir de soi est aussi un rentrer en soi et inversement »[16]. Elle n’analyse plus le monde comme donné séparé, mais y trouve un modèle pour se construire elle-même. Le chiasme permet finalement d’éclairer toutes les relations entre extériorité et intériorité, bien souvent envisagées comme antinomiques dans la tradition philosophie. A ce titre, la dernière phrase que Merleau-Ponty ait écrite, citée par Claude Lefort, même si elle se rapporte à la relation expérience/langage, peut être appliquée à la dialectique du constituant/constitué. Que la conscience constitue le monde ou réciproquement ne sont pas deux moments d’une dialectique : « De l’une à l’autre de ces vues, il n’y a pas renversement dialectique, nous n’avons pas à les rassembler dans une synthèse ; elles sont deux aspects de la réversibilité qui est vérité ultime. » [17]

Conclusion

Au cours de cet exposé, plusieurs expériences de pensée menées par Marx, Husserl, Merleau-Ponty, se sont dégagées. Marx a dans un premier temps été compris non comme penseur du matériel, mais des structures opérantes qui informent celui-ci, donc comme penseur du formel ou du relationnel. Or, la relation entre le phénomène et ce qu’il manifeste est également la question qui travaille la phénoménologie. De ce premier point commun, nous avons tiré deux opérations assez similaires, l’une dans la critique du matérialisme intuitif, l’autre dans la réduction phénoménologique. Le monde se découvrait alors produit de la conscience : il n’était rien sans l’ensemble de significations que la subjectivité lui donnait au cours de ses expériences.

Mais Marx et Husserl ne s’arrêtent pas là. Le premier opère ce qu’il nomme « renversement », en montrant que malgré cette posture adoptée par le nouveau matérialisme, le matériel est fondamentalement le socle de toute conscience. Le second, abandonnant le costume de l’idéalisme transcendantal, se tourne vers la Lebenswelt, et considère que celui-ci est premier. Le leitmotiv du retour aux choses se fait de plus en plus entendre.

Retour et renversement : dans ces deux opérations proprement dialectiques apparaissent les difficultés concrètes auxquelles se sont confrontés la phénoménologie et le marxisme. L’une a été attaquée de tous bords parce qu’elle ne pouvait se faire praxis, l’autre a montré les dérives d’une philosophie lorsqu’elle s’infuse dans un système politique.

La question, brûlante dans la France de l’après-guerre, d’un lien entre phénoménologie et marxisme, est plus fondamentalement celle d’un rapport entre pratique et théorie. Se manifeste alors la dialectique du constituant et du constitué. Faut-il que l’ego ou la conscience se soient dotés de structures théoriques avant d’aborder le monde ? Mais d’où peuvent-ils tirer leur structure si ce n’est du monde même ? Refusant le renversement aussi bien que la réduction transcendantale comme motifs opposés d’un rapport au monde, Merleau-Ponty propose le concept de chiasme. La vertu de ce concept, qui lie l’intériorité et l’extériorité, est de considérer la force créatrice d’une telle opération. En littérature, le chiasme est porteur d’un sens plus profond que le simple retournement. Il apporte à une phrase ou un vers une dynamique. La conscience est simultanément constituante du monde et constituée par lui.  Cette simultanéité implique de ne pas séparer l’un et l’autre, de ne pas même différencier les phases d’une relation dialectique. Plutôt que de mettre l’accent sur un acte du philosophe qui renverserait le rapport entre matériel et idéel, Merleau-Ponty choisit d’insister sur la puissance immanente à ce rapport, qui est puissance de réversibilité.

© Elise Tourte 

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[1]K. Marx, Le Capital, op.cit., Postface à la seconde édition allemande.

[2]T. Duc Thao. Phénoménologie et Matérialisme dialectique, Paris, Minh-Tân, 1951, p.5-19

[3]A. De Waehlens, Phénoménologie husserlienne et phénoménologie hégélienne. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 52, N°34, 1954. pp. 234-249.

[4] E. Husserl, Premières Recherches logiques, PUF, 1990, p.171.

[5]T. Duc Thao, Op.cit., p.9

[6]T. Duc Thao, Ibid., p.10

[7]T. Duc Thao, Ibid., p.12

[8]T. Duc Thao, Ibid., p.15

[9]J.-L. Marion, Etant donné, PUF, 1997

[10]E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen I) § 20, TEL, Gallimard, p.69

[11]M. Merleau-Ponty, Sens et Non-Sens, Editions Nagel, 1966, p.228.

[12]M. Merleau-Ponty, Les Aventures de la dialectique, Gallimard, 2000, p.19

[13]M. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, TEL, Gallimard, 1964, p.129

[14]M. Merleau-Ponty, Ibid.

[15]E. Alloa, Op.cit., p.81-82

[16]M. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, p.252

[17]M. Merleau-Ponty, cité par C. Lefort, postface Le visible et l’invisible, p.356

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