Pamphlet/Philosophie

L’école des savoirs contre l’école de l’ignorance

"Le jardin des philosophes", par Antal Strohmayer (1834)

« Le jardin des philosophes », par Antal Strohmayer (1834)

Le mépris des enseignants ne reflète que le mépris du savoir lui-même. L’école est le lieu de la transmission du savoir et, éventuellement, de l’éducation à la vertu citoyenne : tel était l’idéal de l’école républicaine dans sa formulation la plus universelle et la plus honnête. L’école n’avait pas pour fonction de « massifier » le savoir aristocratique et bourgeois, mais de le « démocratiser », ce qui n’est pas du tout la même chose.

L’école des masses revient à considérer que le peuple n’est pas capable de s’élever au savoir, et qu’il faut le condamner à une culture de masse populaire basée sur le divertissement, la bêtise et l’ignorance : l’homme du peuple est tout juste capable d’appliquer des « procédures » pour être un « bon travailleur ». L’école du peuple est celle qui considère que le savoir, jusqu’ici, réservé à une élite, une pseudo-élite, devrions-nous dire, peut être enseigné à tous, et que tous les enfants de la République sont capables dans des conditions normales de s’élever, au moins en partie, aux exigences du savoir.

Force est de constater que l’école républicaine a été trahie par ceux-là même qui, jour après jour, se revendiquent de la République en paroles, alors qu’en actes ils ne font que la détruire. Volontairement ? Inconsciemment, comme ces hommes qui se réclament de la gauche, qui se réclament de la lutte contre les inégalités, et qui abdiquent, en fait, devant les subversions d’une idéologie qui croit voir dans la destruction même du savoir pour tous un moyen de lutter contre les inégalités. C’est tout à fait surprenant, ou plutôt, consternant et révoltant. Ils ne comprennent pas que la lutte contre les inégalités réside dans la mise en œuvre d’une école qui permet à tous d’accéder aux savoirs réservés à une classe sociale économique ou culturelle.

En outre, on ne peut comprendre ce raisonnement, si on le considère un instant comme honnête, ce qui est difficile à faire, qu’en supposant que le principe qui guide cette « charité » de gauche réside dans la certitude que le peuple est incapable. Or, ce principe est la négation même de l’idéal républicain et démocratique : penser que le peuple est incapable, c’est le sens même d’une république aristocratique. Les théories sur la république et la démocratie ont tergiversé entre démocratie représentative aristocratique et démocratie directe : il faut constater que le choix de la première forme a été adopté. Mais, si l’élite aristocratique exerçait le pouvoir en vue de l’intérêt général, ce qui n’est autre que le principe même de la république depuis Aristote, nous pourrions, à la limite, nous satisfaire de ce type de régime. Or, nous constatons qu’il n’en est rien, la notion même d’intérêt commun est subvertie, éliminée, neutralisée. La démocratie libérale devient finalement une escroquerie intellectuelle et politique. Nous le savons. Il n’y a que ceux qui profitent du système pour se laisser persuader un instant par cette escroquerie. Qu’ils soient honnêtes, un instant, et qu’ils affirment leur véritable intention : diriger le monde dans ses multiples dimensions en réduisant le grand nombre, la foule ignorante et vulgaire, au statut de travailleur malléable, de consommateur débile et d’électeur grégaire dont le vote permet de légitimer le système à l’intérieur d’une illusoire mascarade.

Hannah Arendt

Hannah Arendt

Quel est le lieu qui représente au mieux la situation culturelle et philosophique sinon l’école ? Quelle est la fonction qui, dans une République, ne saurait être plus aimée, assistée et respectée, que celle d’enseignant, c’est-à-dire de celui qui transmet un savoir aux nouvelles générations ? La crise de l’école n’est que le reflet de la crise de la culture, pour paraphraser Hannah Arendt. Dans ce contexte, nos dirigeants ont décidé d’accompagner et voire d’accentuer, car il faut poser leur responsabilité bien plus grande que la nôtre, la crise de la culture, et leur réponse à la crise de l’école est d’adapter l’école au dérèglement de la société : dans l’absence de volonté de changer la société, ils préfèrent transformer l’école et la modeler sur le modèle de la société, alors même que la véritable solution résiderait dans un renouveau des valeurs républicaines. L’école va imiter l’inculture dominante.

Le mépris du savoir est la règle, en tant que le savoir ne se mesure qu’à son utilité. Il n’est plus qu’un instrument. Si le savoir n’est pas utile, s’il n’est pas le moyen de parvenir à un enrichissement économique immédiat, il n’est rien, il est une perte de temps. Or, nous avons là exactement la contradiction même de ce qu’est la savoir : le savoir est inutile au sens où il est une fin en soi et non un moyen. Et nos chers savants, nos chères élites, qui se regroupent dans les Universités, sont dans le même mépris du savoir, quand ils font de la science comme on fait de la politique, et c’est bien souvent la règle. Le mépris qu’ils ont pour le savoir est à la même mesure que le mépris qu’ils ont pour ceux qu’ils sont censés former, ces pauvres ignorants du secondaire et du primaire. Ces gens « supérieurs » qui devraient être les défenseurs de l’école, car elles préparent les générations à l’accès au savoir le plus élevé, se croient les détenteurs de la science à l’exclusion, bien sûr, des autres, se prétendent les juges du savoir, alors que leurs jugements reposent, réellement, le plus souvent, sur des préjugés sociaux, économiques et institutionnels, et se permettent de mépriser l’ancien et l’actuel étudiant qui a suivi leurs cours pour maîtriser une discipline et la transmettre à d’autres. Croyez-moi, beaucoup sont comparables aux artisans de l’Apologie de Socrate. Ils s’enivrent d’une légitimité supposée fondée sur le savoir, alors que bien souvent, leur place se joue dans leur milieu, et dans leur capacité d’intégrer un réseau. Certes, cela n’enlève pas leur savoir de spécialistes, comme le reconnaît Socrate, mais cela n’enlève non plus, de trop nombreuses fois, leur ignorance. Mépris de classe « culturelle » qui n’a que très peu de fondement : combien d’agrégés, de certifiés, de docteurs, de doctorants, d’étudiants et de citoyens animés par de véritables exigences de savoir, hommes et femmes capables à la même mesure que les « élus » d’entreprendre des « recherches » si l’Institution leur permettait. A croire que pour jouir d’un statut, il faut nécessairement exclure les autres.

Face à ce mépris généralisé venu de toutes parts, des élites politiques, des élites économiques, des élites financières, des élites intellectuelles, d’une grande partie du peuple manipulé à loisir par les élites médiatiques, quelle réaction plus saine que de rentrer en résistance en portant fièrement et excellemment le drapeau du savoir ! Quelle réaction plus saine que de rappeler que l’école est le loisir d’apprendre, est le temps de vacances de l’acquisition du savoir, ce temps ô combien inutile ! Ce temps qui n’est qu’au service de l’homme, de sa liberté, de son instruction, de son élévation spirituelle et éthique ! Montrons que, par-delà tous les mépris, notre quête a toujours été la même, et n’hésitons pas à le faire valoir quitte à passer, dans une société décadente, pour le philosophe ou le savant fou, quitte à passer, dans une société décadente, pour le danger que représente la connaissance à l’encontre de tout pouvoir arbitraire, quitte à retrouver le statut de la subversion, celle-là même que les hommes élèvent, de manière la plus hypocrite qui soit, sous la figure de Socrate.

Laissons la parole à tous ces hommes et à toutes ces femmes, prolétaires du savoir, mais vrais défenseurs du savoir, laissons leur cette parole que les institutions, les réseaux et les médias leur refusent ; qu’ils s’expriment, qu’ils enseignent, que leur dignité extérieure brille à la mesure de leur dignité intérieure ! Qu’ils rappellent le sens et l’essence de l’école des savoirs que beaucoup ont trahie.

 © Philarétè

6 réflexions sur “L’école des savoirs contre l’école de l’ignorance

  1. Je tique un peu sur le terme démocratie libérale, même si c’est comme cela qu’on doit l’appeler. Vous devriez regarder ce que proposent les libéraux les plus extrême comme David Friedman sur l’école. Parce que là, on a l’impression d’avoir un article politique, cela va mal, il faut changer cela, il faut que ses gens changent. Oui mais on fait comment ? Je ne vois aucune proposition concrète. En tant que libertarien, je sais que mon idéologie est plus ou moins utopiste car la liberté individuelle, il faut l’assumer et je dois constater que seulement, une minorité d’entre nous en sommes capables. Les autres sont plus proches de la bête que du surhomme.

    J’aime

  2. Cet article m’apparaît comme un ramassis de poncifs. Je partage en partie la thèse principale – notre société méprise le savoir et les enseignant.e.s qui en sont le vecteur – mais l’argumentation est bien faible. Aucun acteur n’est identifié. « Force est de constater que l’école républicaine a été trahie par ceux-là même qui, jour après jour, se revendiquent de la République en paroles, alors qu’en actes ils ne font que la détruire » De qui parlez-vous exactement ? D’où vient précisément le mépris pour le savoir et que faire face à lui ?

    J’aime

  3. Tandem ! Vir otiosus dicere audet Scholam hominum liberorum proprium esse !
    Je vous félicite. Il serait bon, pour ceux qui veulent vraiment philosopher, de lire ce qu’a écrit le philosophe Emmanuel d’Hooghvorst dans « Le Fil de Pénélope » (Editions BEYA).

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.