
« La Verdad, el Tiempo y la Historia », Francisco Goya (huile sur toile, entre 1797 et 1812,
Nationalmuseum, Stockholm, Suède)
« La vérité est fille du temps et non de l’autorité »
Francis Bacon
Au XXIe siècle, les faits objectifs ont quelquefois moins d’influence sur l’opinion publique que les appels à l’émotion et les avis personnels. L’éparpillement récent de l’information – via Internet -, les médias journalistiques et sociaux remettent en cause la vérifiabilité et la qualité de l’information. Certains peuvent ainsi en profiter pour jeter le soupçon sur l’information en désaccord avec leurs convictions.
L’ère de la post-vérité ?
Ce concept, couronné en 2016 par le Dictionnaire d’Oxford, se définit ainsi : « Des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles », tel le rôle du « troll » sur Internet qui génère des polémiques quel que soit le sujet de la conversation.
Nous invoquons sans cesse les fake-news, l’ère du mensonge permanent, la post-vérité. En effet, la vérité ne semble pas toujours désirée ou désirable. Un nouveau défi s’impose à nos sociétés démocratiques. Puisque l’on peut tout faire mentir ou travestir, que ce soient les images, les discours, les faits, n’assistons-nous pas à l’émergence du règne de la post-vérité, amplifié par une manipulation croissante de l’opinion ?
Les sociétés démocratiques, fondées sur la capacité à juger des citoyens au sein de l’espace public – ainsi que le soulignent Jürgen Habermas ou Hannah Arendt – sont confrontées en permanence à des opinions discordantes, conflictuelles ; ce qui peut induire un relativisme des opinions. Alors que Kant et les philosophes des Lumières reliaient opinion publique et émancipation politique, l’espace commun risque de présenter une diversité fondée sur l’indifférence où « tout se vaut ». Au XIXe siècle, Tocqueville soulignait déjà cette possibilité de dérive des sociétés démocratiques. L’égalité ne fait que placer les hommes les uns à côté des autres, les isolant, ce qui mène au développement d’ « une vertu publique de l’indifférence » ; l’égalité encourageant l’isolement et la peur.

« La démocratie des crédules », Gérald Bronner (PUF, 2013)
Dans l’ère de la post-vérité, les citoyens accorderaient la priorité aux émotions sur les faits objectifs. Cette expression peut sembler trop radicale toutefois. Le XXe siècle a été marqué par les totalitarismes et la propagande et ce ne fut aucunement le siècle de la vérité.
Méfions-nous donc des affirmations péremptoires qui annoncent l’ère de la post-vérité, tout comme l’ère du post-humain ou de la post-histoire. Ainsi Jean-Michel Besnier anticipait dès 2009 les post-humains sous forme de clones, de robots, de cyborgs. Grâce à son ingéniosité, l’homme s’autoproduira sans avoir le souci de naître : il s’émancipera de la maladie, étant réparé en permanence par des nano-robots et pourquoi pas de la mort en téléchargeant le contenu de sa conscience ! Les utopies post-humaines vont nous contraindre à engager le dialogue avec cet autre, hier animal ou barbare et demain machine intelligente ou cyborg.
En ce qui concerne l’espace public et politique, selon Myriam Revault d’Allonnes, la post vérité signifie plutôt que le partage du vrai et du faux est devenu inessentiel au sein du marché actuel de l’information, dont la circulation incessante, à travers les réseaux sociaux et les canaux numériques est devenue décisive. Dans La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun, 2018, Myriam Revault d’Allonnes rappelle que la notion de post vérité date de 2016. L’indifférence généralisée qu’elle peut impliquer amoindrit le discernement, l’aptitude à la critique et la conscience des responsabilités. Elle remet en cause la possibilité de bâtir un monde commun en appauvrissant aussi l’imagination, source de l’action. Notre époque serait plutôt celle d’une distinction devenue inessentielle entre le vrai et le faux, et non l’ère du mensonge généralisé. Le risque de l’équivalence et de l’indistinction constitue un écueil pour la démocratie. Bref, la post-vérité irait bien au-delà de la vaste entreprise de déconstruction philosophique, des maîtres du soupçon ou de Jacques Derrida. Elle renvoie à une zone grise où l’on n’arrive plus à déterminer si les choses sont vraies ou fausses, « La post-vérité est plus problématique que le mensonge » (L’Express, 5 octobre 2018).
Dans une optique différente, Gérald Bronner, dans La démocratie des crédules, relève que le terme de post-vérité ne renvoie aucunement à une indifférence généralisée envers la vérité, mais plutôt à une tendance à se laisser duper par la crédulité croissante des individus. Le développement d’Internet, des réseaux sociaux, qui donne accès à une information pléthorique, mondialisée et instantanée n’aurait fait qu’exacerber notre disposition à la crédulité, notre médiocrité commune, intellectuelle et cognitive. Les lanceurs d’alerte participent aussi quelquefois à cet élan de crédulité par un avertissement incessant développant un embouteillage des craintes, sur le plan sanitaire par exemple. Or, les démentir prend du temps, le temps de la science et de l’information journalistique ne concordent pas avec celui effréné du marché de l’information. Les arguments du soupçon sont plus aisés à produire que les arguments scientifiques. La loi de Brandolini indique de son côté que la quantité d’énergie nécessaire pour récuser ou réfuter des affirmations sans fondement est toujours bien supérieure à la quantité d’énergie mobilisée pour les diffuser par les canaux numériques. Or, ces arguments du soupçon, diffusés à grande échelle, submergent le marché de l’information en s’imposant comme un véritable mille-feuille argumentatif, dont la réfutation devient alors quasiment impossible en vertu d’un temps disponible réduit pour la critique rationnelle.
Pascal Engel, dans « La vérité, what else » (18 juin 2019), En attendant Nadeau, n° 82, nous rappelle que la post-vérité ne signifie en aucun cas que la différence entre le vrai et le faux aurait cessé d’exister. Bien que les développements technologiques et les changements médiatiques produisent une perte de confiance dans l’information, une production massive de bobards, cela n’implique en rien l’abolition du vrai et du faux. Cependant, force est de reconnaître que les contenus faux et surprenants se diffusent bien plus vite que les informations vraies. En effet, les algorithmes sont conçus pour prioriser les articles, ceux que l’on aime cliquer, partager ou simplement ceux auxquels on réagit. Ils ont donc tendance à se répliquer et à se « viraliser ». La grande majorité des messages sur Twitter, Instagram et Facebook ne sont pas forcément partagés mais un faible pourcentage d’entre eux peut être propagé à grande échelle. Les fausses informations circulent beaucoup plus rapidement que les vraies et pendant des durées plus longues, ce qui est notamment dû à leur contenu sensationnel – le buzz – et à leur fort impact émotionnel.
Les médias sociaux ont beaucoup contribué à légitimer désinformation et théories du complot. Dans La Société ouverte et ses ennemis (1945), Karl Popper proposait une définition de la théorie conspirationniste de la société (Conspiracy Theory of Society) : « C’est l’opinion selon laquelle l’explication d’un phénomène social consiste en la découverte des hommes ou des groupes qui ont intérêt à ce qu’un phénomène se produise (parfois il s’agit d’un intérêt caché qui doit être révélé au préalable) et qui ont planifié et conspiré pour qu’il se produise. » Or, le raisonnement complotiste ne se prête pas à la réfutation. Imperméable à la contradiction, sa dénégation est retenue comme argument en sa faveur. La science, en opposition, accepterait la falsifiabilité, la réfutation ; facteur de progrès.
Le complotisme, ou conspirationnisme ou conjurationnisme, est en outre une arme politique. Certains sociologues considèrent la généralisation de l’explication par le complot comme un aspect clé de la mentalité postmoderne et nourrissant certains courants du « populisme ». Les croyances aux théories du complot prolifèrent particulièrement lors d’événements sociétaux angoissants amenant des sentiments d’angoisse, de désarroi et d’incertitude chez les citoyens.

Karl Popper chez lui en Grande-Bretagne en 1992 (Crédits : David Levenson)
La démocratie d’émotion
La vérité d’émotion peut sidérer ou provoquer une réaction irréfléchie, déclencher un cri ou laisser sans voix, paralyser. Sous sa forme disruptive, elle peut imposer sa loi, à savoir fuir ou attaquer. Cet état extrême accompagne les situations de péril dans lesquelles la survie de l’individu est en jeu. Si l’émotion signale une urgence, elle ne doit toutefois pas se substituer à la raison.
Or, l’émotion et les croyances l’emportent de plus en plus sur les faits objectifs. L’émotion se couple d’ailleurs à la sincérité ou à l’impression de sincérité qui devient critère de l’information. Ce qui prime, c’est alors la subjectivité irréductible, toute tentative pour la critiquer étant taxée d’oppressive et de totalitaire. Selon Sebastian Dieguez, l’ère de la post vérité prendrait appui sur l’imposture de la sincérité (Total Bullshit ! Au cœur de la post vérité, PUF, 2018, p.314).
De facto, si le fait disparaît, l’émotion s’affirme et la vérité s’étiole. Le doute se généralise, sapant la raison et l’argumentation. Le sensationnel l’emporte sur le rationnel, le divertissement sur le fond. Or l’humain enracine sa condition dans le divertissement, un roi sans divertissement n’est lui-même qu’un roi plein de misères au sens pascalien. Hannah Arendt, décrivant les origines du totalitarisme, soulignait cette logique de la déraison, débouchant sur l’incapacité à distinguer le vrai du faux. 1984 de George Orwell décrit ce totalitarisme où l’indifférence à la vérité prime. Reste à souligner le caractère souvent intentionnel de la désinformation intentionnelle, le fake se distinguant du false, signifiant simulation, contrefaçon ou imposture délibérées. De ce fait, l’expertise scientifique est vilipendée, neutralisée, par les opinions des uns et des autres, reprises à l’infini sur les réseaux sociaux. Notre époque réagit ainsi sur le mode de l’indignation, du pleurnichage stérile alimentant davantage l’industrie du mouchoir plutôt qu’une réelle transformation de la société. Tel est le constat d’Anne-Cécile Robert, dans La stratégie de l’émotion. Les journalistes en sont quelquefois les complices, pratiquant le culte du fait divers au détriment de la mise à distance, de l’esprit critique. L’émotion étant par nature subjective, il est difficile de la mobiliser dans le champ collectif de l’action politique, celui de l’intérêt général.
L’émotion a plutôt tendance à atomiser et à fragmenter la société, à la transformer en un archipel, dont le centre est partout et la circonférence nulle part.
Cette soumission des enjeux du débat démocratique à l’omnipotence de l’émotion n’est pas nouvelle, mais elle s’est accélérée dans le sillage d’une société où tout doit aller plus vite. Paul Virilio s’en fait l’écho dans La vitesse de libération et dans Ville panique, 2004. Contrairement à Anne-Cécile Robert, Virilio insistait sur l’aspect totalitaire ou global de la standardisation des émotions. Celles-ci peuvent nous atomiser si chacun met en avant sa sincérité ou subjectivité, mais les moyens de communication, ubiquitaires et instantanés peuvent aussi les formater et les dissoudre au profit d’une surveillance généralisée, via les satellites, les webcams… Tous les événements sont maintenant suivis en direct, régulant une standardisation, une synchronisation de l’opinion. L’accident intempestif est même recherché car il provoque la synchronisation des émotions de l’ère informationnelle parachevant la synchronisation des comportements de l’ère industrielle. Les armes de communication peuvent se transformer en armes de destruction massive de l’esprit critique. La (dés)information est devenue une arme moderne, plus redoutable que le poison : si elle ne tue pas physiquement, elle peut assassiner socialement, fait disparaître au lieu d’éliminer directement par le biais de rumeurs. Manipuler les consciences est plus facile dans un contexte d’assoupissement et d’abêtissement généralisé des consciences. La démocratie de l’émotion rétrogade la démocratie de l’opinion ou de représentation. Cette dernière se dissout alors dans une communication instantanée qui n’est finalement qu’une simple présentation. Dénonçant la percée dystopique inhérente aux nouvelles technologies, Paul Virilio anticipait notre réalité en associant télévision et télésurveillance, par le moyen d’un divertissement numérique indéfini. Nul doute que cette tendance s’est amplifiée depuis avec la montée en puissance des réseaux sociaux.
Le goût du vrai et les sciences

« La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun », Myriam Revault d’Allonnes (Seuil, 2018)
Etienne Klein souligne l’affaiblissement de notre goût du vrai pour la science, qui va de pair avec un affaiblissement de la démocratie, mise en danger. Son constat est donc analogue à celui de Myriam Revault d’Allonnes, mais centré sur les sciences. Ces dernières progressent par la coopération amicalement hostile des citoyens de la communauté du savoir, ou des travailleurs de la preuve pour reprendre l’expression de Gaston Bachelard.
Malheureusement, la science a non seulement divorcé de l’opinion, mais aussi de l’idée de plaisir, il faudrait la rendre de nouveau attractive. Si pour Bachelard, il n’y a pas de vérités premières en sciences, mais seulement des erreurs premières à surmonter, Etienne Klein met en évidence quatre biais qui contaminent notre façon de penser et qui contribuent à la perte de notre goût pour les vérités scientifiques. Le goût du vrai, affaibli, met en évidence l’importance de ces biais, se renforçant les uns les autres par interférences mutuelles.
Il y a tout d’abord la tendance à accorder plus de crédit aux thèses qui nous plaisent plutôt qu’à celles qui nous déplaisent. Le biais de confirmation d’hypothèse renforce cette propension. L’analyse de toute information et de tout fait au travers du prisme déformant de ce biais cognitif, peut être aussi particulièrement présente dans le discours complotiste.
Nous nous intéressons davantage aux personnes et aux sources d’information qui vont dans le sens de nos croyances. Ainsi, nous adhérons spontanément aux « vérités » qui satisfont nos désirs. Comme l’énonçait Spinoza, je ne désire pas une chose parce que je la juge bonne, mais je la juge bonne parce que je la désire. Ces (pseudo)-« vérités » satisfaisantes prennent racine dans nos émotions : ce sont des idées inadéquates au sens spinoziste, premier genre de connaissance.
Il y a ensuite ce que l’on nomme ipsédixitisme. Dès que le maître l’énonce, alors il est interdit de le discuter. Ce biais rejoint l’argument d’autorité, il est sclérosant pour la pensée critique. Plus généralement, nous accordons crédit à une thèse par le simple fait de l’avoir lue ou entendue. C’est l’effet de simple exposition, qui peut se coupler à l’effet de halo – on sélectionne parmi un ensemble d’informations celles qui confirment nos premières impressions – ou à l’effet de récence, selon lequel on se souvient mieux des dernières informations entendues (proche du biais de disponibilité en mémoire, qui fait considérer comme fréquent un événement récent).
Le troisième biais s’appelle l’ultracrépidarianisme. Il désigne la tendance très répandue à parler avec assurance de sujets que l’on ne maîtrise pas ou peu. Ce terme vient de l’expression ne supra crepidam sutor iudicaret, dans une anecdote rapportée par Pline l’Ancien : un cordonnier était entré dans l’atelier du peintre Apelle pour lui remettre une commande. Il en profita pour admirer les œuvres du peintre et lui signala une erreur dans la représentation d’une sandale. Le peintre obtempéra. Mais quand le cordonnier commença à émettre d’autres critiques, le peintre lui répondit: « Un cordonnier ne devrait pas donner son avis au-delà de la sandale.»
Plus généralement, il souligne la tendance à parler de choses que l’on ne connaît pas, en particulier devant les médias au lieu de confesser son ignorance. La crise sanitaire a donné lieu ainsi à de nombreux commentaires de non spécialistes prodigues en injonctions et recommandations. L’ultracrépidarianisme est aussi connu comme effet Dunning-Kruger. Ce biais conduit les moins qualifiés à surestimer leurs compétences et donc à s’exprimer de façon péremptoire et peu nuancée, alors que les spécialistes, experts, ont un point de vue souvent plus réservé, nuancé, subtil, dubitatif, aptes à la remise en question des préjugés. Bien sûr, les médias, talkshow, le journalisme dans sa version vulgarisatrice, renforcent ce biais.
Le quatrième biais est la confiance démesurée accordée à l’intuition personnelle, au bon sens, aux évidences premières. Or, la science est une machine à pulvériser les évidences premières. L’histoire des sciences en fournit l’illustration, que ce soit pour le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme, de la phlogistique à la chimie de Lavoisier, ou du fixisme à l’évolutionnisme. Bachelard avait déjà insisté sur les obstacles épistémologiques, évidences premières surmontées par la formation de l’esprit scientifique. Cette rupture entre la doxa et la science n’implique cependant nullement que la vérité appartient uniquement aux scientifiques.
Elle a au contraire vocation à être partagée, discutée dans l’espace public, ses enjeux et implications relevant du vivre-ensemble, de la politique.

Gaston Bachelard en février 1957 à Paris (Crédits : Collection Yli – Sipa)
Rhétorique, éloquence et émotion
La rhétorique aristotélicienne repose sur l’équilibre de l’ethos, du logos et du pathos, l’éthique, le logique et le pathétique. A l’origine le pathos c’est l’auditoire, il réagit en fonction de ce qui l’anime, essentiellement ses émotions. Pour émouvoir ou simplement convaincre quelqu’un, il faut tenir compte de ses valeurs, de la façon dont il réagit. La passion se fonde sur l’émotion et la transcende, elle est plus qu’une réaction éphémère. Mais si le but de la rhétorique se concentre exclusivement sur le pathétique, la persuasion et l’émotion, elle met de côté alors l’argumentation raisonnable dans le but de manipuler autrui, de l’instrumentaliser. Telle est la dérive possible de la rhétorique, critiquée par Platon dans le Gorgias. De nos jours, certains politiciens, lointains héritiers des Sophistes (adhérant ou non à des visions complotistes du monde) peuvent reprendre stratégiquement cette rhétorique dans l’espoir de la transformer, de la monétiser dans le champ politique.
L’éloquence chez Cicéron et Quintilien, quant à elle, transcrit la tripartition aristotélicienne, en trois devoirs de l’orateur, à savoir : plaire (placere), charmer (delectare) par la qualité de son style, instruire (docere) par la rigueur de son argumentation, mais aussi émouvoir (movere) par l’humour et le pathétique. Ces trois mouvements donnent lieu à des figures de style, des tropes permettant d’emporter l’adhésion de l’auditoire. Le récit doit faire vivre des émotions fortes à l’audience : joie, colère, tristesse, créer de la passion, faire ressentir des émotions, marquer les esprits, les exalter bien plus que le font les concepts abstraits. La posture de l’orateur, le ton de sa voix, son débit suscite aussi l’émotion en faisant rire ou pleurer, en créant une forme d’empathie. Cicéron, dans son De Oratore, affirme à Crassus : « Rien ne me semble plus beau que de pouvoir, par la parole retenir l’attention des hommes assemblés, séduire les intelligences, entraîner les volontés à son gré en tous sens. »
Mais si cette force de la rhétorique se couple à la manipulation de l’émotion par l’instrumentalisation consciente, de la part de l’orateur, des bais cognitifs, à l’insu de l’auditoire, alors elle quitte le domaine de l’argumentation raisonnable. En ce sens, nous pouvons toujours opposer à l’instar de Platon dans le Phèdre la mauvaise rhétorique, celle des Sophistes, centrée sur la flatterie, émotive et manipulatrice à la rhétorique philosophique, mise au service de la communication du savoir.
© Philippe Fleury
Oui, très intéressant. Mais premier point, par delà toute vérité, il y a un rapport: à qui, à quoi la vérité? Par exemple pour un pauvre illettré, la vérité s’appuiera sur l’émotion que lui déclenche tel ou telle information qu’il aura vue sur son écran (s’il en a un) ou entendue, etc…Pour lui, la vérité sera celle qui le fait vibrer en tant que possibilité d’accession à un meilleur état, une meilleure sphère d’immunité.
Car la vérité en soi, absolue, n’existe pas. Même pas celle de Céline qui dit que la seule vérité c’est la mort. Pourquoi? Parce qu’il était vivant lorsqu’il a dit ceci; donc potentiellement un mensonge (intentionnel ou pas).
Pour notre cher Etienne Klein. Oui, la science peine à nous donner le goût du vrai. Mais pourquoi?
La réponse est pourtant simple. Sa compromission avec la politique et la domination des élites. Résultat, le peuple s’en méfie vu qu’il n’en reçoit que des miettes. Pour ce dernier, la médecine, la technologie, la recherche spatiale et autres leurres de l’hubris humaine n’est accessible que par écrans interposés, exacerbant comme jamais les sentiments d’envie et de colère de ceux qui en sont exclus. C’est exactement ce qu’il se passe sur Internet. La colère des peuples, partout, intra et extra nationale se répand à cause – et grâce! – aux réseaux sociaux. Du coup, la belle idée de transmission, vulgarisation du savoir que promettait Internet se transforme en formidable machine à ressentiment global. En un clic, on voit qui possède tout ce qu’il veut en se foutant pas mal de la philo et de la vérité. Le message aux jeunes dans tout ça? Jouir sans entrave et amasser de l’argent par tous les moyens. Pas besoin de grandes écoles pour cela. Pas besoins de livres compliqués. La seule vérité, c’est l’argent. Seul l’argent confère l’immunité. Mais l’immunité ne suffit plus. On agresse, on envahi des pays, on veut marquer l’Histoire par sa puissance qui revêt l’armure de la vérité. Argent, puissance. Les piliers de la vérité. C’est le même système pervers de l’écoulement des richesses de Riccardo-Smith , dont certains naïfs attendent encore les bienfaits sans protester, pendant que leurs gosses mendient dans les rues ou se prostituent.
La vérité est donc un leurre inventé par l’intelligentsia et la doxa hyperdiplômée qui s’est retrouvée propulsée – depuis l’enfance jusqu’aux grandes écoles- à la tête des instances politiques. Bourdieu l’avait bien vu, mais son nom est déjà depuis longtemps enterré par les dominants. Dessous toute vérité, il y a toujours ce côté émotionnel, malsain, de vouloir dominer, affirmer sa puissance. Car comme le disait Raymond Aaron, la politique se sert des passions humaines, donc elle est impure.
En conclusion cher monsieur, la vérité de chacun, selon ses besoins et ses envies, prend largement le dessus sur la vérité tout court dont plus personne ne veut entendre parler. Et j’en suis le premier désolé.
Bonne Journée!
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