Esthétique/Philosophie/Psychanalyse

Entre théologie et psychanalyse : une névrose démoniaque du XVIIe siècle [Notes herméneutiques sur Christoph Haizmann]

« Triptyque », Christoph Haizmann (1677-1678)

Il est important de savoir que la tradition théologique a une  idée fixe  des questions démoniaques. Il est vrai qu’il s’agit  de la connaissance de Dieu, mais de Dieu tel qu’il nous a été révélé  par la révélation, et dans la mesure où la révélation peut nous introduire à une connaissance plus profonde de son mystère intérieur. Le point de départ de la théologie est donc Dieu dans son libre témoignage de lui-même. D’autre part, on peut dire aussi que la théologie est la science de l’objet de la foi, c’est-à-dire la science de ce qui est révélé par Dieu et cru par l’homme ; et en cela elle diffère entièrement des autres sciences, car tandis que les sciences naturelles sont basées sur les données de l’expérience, la théologie est basée sur les données de la révélation qui ont été acceptées par la foi, mais en même temps ; À la base de la tradition théologique, il y a la lutte contre ce que Paul Ricoeur appellera. Le symbolisme du mal présent dans l’histoire de l’humanité et même sa tentative d’éradiquer les formes impures au Moyen Âge. Les premiers apologistes ont combattu l’arianisme comme une doctrine démoniaque et imparfaite qui niait Dieu comme trinitaire.

Cette recherche abordera deux moments, à savoir : 1) des passages importants de la théologie patristique seront réfléchis sur l’allusion au diable, non seulement sur la façon dont il est perçu mais aussi à partir de  la figure de ce père qui ne peut pas mourir dans la théorie psychanalytique et  du retour du refoulé qui retombe sur la figure de Dieu puisque la divinité était l’animal totémique,  jusqu’à ce qu’il prenne une forme humaine, et se présente comme un Dieu qui ne peut supporter d’autres dieux avec lui pour, dans un second souvenir, procéder à partir de l’analyse herméneutique ce que j’ai appelé : signes d’interdiction dans la configuration spécifique d’un cas de Freud : Une névrose démoniaque au XVIIe siècle, par le peintre Christoph Haizmann, dans l’intention d’établir des dialogues entre la psychanalyse et la théologie chrétienne qui impliquera l’exercice d’une réflexion sur la le démoniaque pour ces deux disciplines


I. RÉFLEXIONS THÉOLOGIQUES SUR LA FIGURE DÉMONIAQUE

La théologie patristique, dans son interprétation du diable, a façonné une compréhension complexe et évolutionniste qui a influencé la perception du mal au cours des siècles. Comme le souligne l’érudit William James : « La représentation du diable dans la théologie patristique est le reflet des tensions morales et cosmogoniques inhérentes au développement de la conception du mal dans la tradition chrétienne primitive » (James, 2008). Cette conception du diable, enracinée dans la lutte entre le bien et le mal, a façonné la compréhension du rôle du mal dans la vie humaine et de sa relation avec la divinité, fournissant ainsi une base solide pour une analyse plus approfondie des manifestations démoniaques dans des contextes spécifiques, comme le cas de Haizmann.

En abordant la figure du diable, il a développé un système d’interprétation complexe qui reflète l’évolution de la compréhension du mal dans le contexte chrétien primitif. Les représentations démoniaques dans la théologie patristique ne se limitent pas seulement à la personnification du mal, mais englobent également les luttes existentielles et spirituelles inhérentes à l’expérience humaine. Comme l’observe le chercheur Henri de Lubac, « la représentation du diable dans la théologie patristique apparaît comme une manifestation symbolique des forces opposées à la divinité et incarne les luttes cosmiques entre le bien et le mal » (Lubac, 1961). Cette interprétation symbolique du diable en tant qu‘agent des ténèbres qui défie l’ordre divin a influencé la compréhension de la condition humaine et de sa relation avec le divin au fil des siècles.

En outre, les réflexions théologiques sur la figure démoniaque ont fourni une base fondamentale pour comprendre les concepts de tentation, de péché et de rédemption dans le contexte de l’expérience humaine. Selon le théologien Karl Barth, « la figure du diable est au centre du récit théologique, car elle incarne la tentation et la chute de l’homme, et souligne la nécessité de la rédemption et de la réconciliation avec le divin » (Barth, 1957). Cette notion de la présence du diable en tant que catalyseur de la chute de l’homme a considérablement influencé la compréhension de la nature humaine et de sa relation avec le transcendantal dans la théologie chrétienne.

De même, la théologie patristique a abordé la question de l’existence du mal dans le monde à travers un prisme théologique et philosophique, fournissant ainsi un cadre conceptuel pour comprendre la souffrance et l’injustice dans le contexte de la foi chrétienne. Selon Augustin d’Hippone, « la présence du diable dans le monde est une manifestation de la fragilité humaine et de l’éloignement de l’ordre divin, ce qui souligne l’importance de la rédemption et de la grâce divine dans la lutte contre les forces du mal » (Augustin, Ve siècle). Cette compréhension théologique du diable comme symbole de déséquilibre et de dissonance dans le monde a influencé la conception du rôle de la foi et de la prière dans la confrontation avec les forces spirituelles maléfiques.

Les réflexions théologiques sur la figure démoniaque ont enrichi la compréhension du mal et de son rôle dans l’expérience humaine, fournissant un cadre d’interprétation qui va de la lutte cosmique entre le bien et le mal à la nécessité de la rédemption et de la grâce divine dans la confrontation avec le diable. La théologie patristique a façonné la compréhension du diable en tant que symbole de déséquilibre spirituel et moral, ce qui a eu un impact durable sur la perception du mal et de la foi dans le contexte chrétien.

Sigmund Freud

II. LA PSYCHANALYSE ET L’INTERPRÉTATION DU DÉMONIAQUE

La perspective psychanalytique, dans son analyse des névroses et des manifestations démoniaques, a fourni un cadre théorique qui révèle les mécanismes complexes sous-jacents à ces expériences. Selon les mots de Sigmund Freud : « Les représentations démoniaques sont une projection symbolique de conflits internes refoulés qui cherchent une issue à travers la figure du diable » (Freud, 1920). Cette approche psychanalytique remet en question les interprétations traditionnelles et offre un aperçu plus approfondi des racines psychologiques des expériences démoniaques, établissant ainsi un terrain fertile pour l’exploration interdisciplinaire et le dialogue critique avec la théologie chrétienne.

L’intersection complexe entre la psychanalyse et l’interprétation du démoniaque a généré une exploration fascinante des abysses de la psyché humaine, dévoilant ainsi les réseaux complexes de l’inconscient et sa relation avec les représentations démoniaques. Sigmund Freud, le pionnier de la psychanalyse, a souligné l’importance de comprendre les expériences démoniaques comme des manifestations symboliques de conflits intérieurs et de désirs refoulés. Dans « Au-delà du principe de plaisir », Freud suggère que « les expériences démoniaques sont une manifestation du refoulement des traumatismes et des désirs indicibles qui cherchent un exutoire à travers la figure du diable, qui incarne les aspects les plus sombres et les plus troublants de l’inconscient » (Freud, 1920). Cette approche freudienne souligne l’importance de considérer les représentations démoniaques comme des expressions symboliques des tensions et des conflits psychologiques qui affligent l’individu.

D’autre part, Carl Jung, dans son développement de la théorie de l’inconscient collectif, a fourni une perspective unique qui situe les représentations démoniaques dans un contexte archétypal plus large. Selon Jung, « les expériences démoniaques sont une manifestation d’archétypes universels présents dans la psyché humaine, se manifestant sous des formes symboliques et mythologiques qui transcendent les frontières culturelles et temporelles » (Jung, 1934). Cette interprétation jungienne met l’accent sur l’importance de comprendre les expériences démoniaques dans le cadre d’un héritage archétypal partagé qui reflète les préoccupations fondamentales de l’humanité dans sa lutte constante contre les forces du mal et des ténèbres.

Jacques Lacan, dans son analyse du « langage et de l’inconscient », a proposé une compréhension sophistiquée des représentations démoniaques comme manifestations symboliques du manque et de  la castration symbolique. Selon Lacan, « les expériences démoniaques reflètent la lutte du sujet contre le manque symbolique et sa recherche de plénitude à travers la représentation du diable comme un Autre menaçant et séduisant » (Lacan, 1957). Cette approche lacanienne souligne l’importance de considérer les expériences démoniaques comme faisant partie d’un processus complexe de construction symbolique qui reflète la dynamique psychologique et linguistique de l’individu dans sa confrontation avec les forces obscures et inconnues de l’inconscient.

En conclusion, la perspective psychanalytique sur l’interprétation du démoniaque a considérablement enrichi notre compréhension des manifestations symboliques et psychologiques du mal dans l’expérience humaine. Des contributions séminales de Freud aux théories complexes de Jung et Lacan, la psychanalyse a fourni un cadre théorique solide qui nous invite à explorer les profondeurs de l’inconscient humain et à réfléchir sur la relation complexe entre le divin et le démoniaque dans le contexte de l’expérience humaine et de sa recherche incessante de sens et de plénitude.

« Le sabbat des sorcières », Goya (1798)

III. L’ANALYSE HERMÉNEUTIQUE DES « SIGNES DE L’INTERDIT » DANS LE CAS DE CHRISTOPH HAIZMANN

Dans le cas spécifique de Christoph Haizmann, une analyse herméneutique sera lancée qui se concentrera sur les « signes de l’interdit » et leur influence sur la configuration de la névrose démoniaque au XVIIe siècle. L’approche freudienne nous permet de démêler les mécanismes psychologiques derrière l’expérience de Haizmann, révélant les dynamiques de refoulement et de projection qui ont contribué à sa vision du diable. Comme le suggère le psychanalyste Carl Jung : « La névrose démoniaque de Haizmann révèle une lutte interne entre des forces opposées, manifestant ainsi la complexité de l’inconscient collectif et son influence sur la formation des expériences démoniaques » (Jung, 1934). Cette analyse herméneutique cherche à intégrer des perspectives théologiques et psychanalytiques pour éclairer les aspects symboliques et psychologiques de l’expérience démoniaque dans le contexte historique et culturel du XVIIe siècle.

« L’Ego et le Ça » suggère que « les signes d’interdiction dans le cas de Haizmann reflètent les désirs refoulés et les conflits psychologiques non résolus qui émergent sous la forme de manifestations démoniaques » (Freud, 1923). Cette approche herméneutique freudienne invite à une réflexion profonde sur la nature des refoulements psychologiques et leur influence sur la configuration des expériences démoniaques dans le contexte de la vie de Haizmann.

De plus, d’un point de vue jungien, les « signes de la prohibition » sont explorés en tant que manifestations d’archétypes universels présents dans l’inconscient collectif de Haizmann. Jung, dans « Les archétypes et l’inconscient collectif », suggère que « les signes de l’interdiction dans le cas de Haizmann révèlent la présence d’archétypes ancestraux se manifestant sous des formes symboliques et mythologiques qui reflètent les luttes internes de l’individu avec des forces obscures et inconnues » (Jung, 1934). Cette approche herméneutique jungienne souligne l’importance de considérer les expériences démoniaques comme l’expression d’une dynamique archétypale profondément enracinée dans la psyché humaine, enrichissant la compréhension du cas de Haizmann en tant que reflet des préoccupations et des angoisses fondamentales de l’humanité.

De même, d’un point de vue lacanien, les « Signes de l’interdiction » sont interprétés comme des manifestations symboliques du manque et de la castration symbolique dans le contexte psychologique de Haizmann. Lacan, dans « Le Séminaire sur la lettre volée », soutient que « les signes de l’interdit dans le cas de Haizmann représentent la lutte du sujet contre le manque symbolique et sa recherche d’intégrité à travers la représentation du diable comme un Autre menaçant et séduisant » (Lacan, 1957). Cette approche herméneutique lacanienne met en évidence l’importance de considérer les expériences démoniaques comme faisant partie d’un processus complexe de construction symbolique et de confrontation avec le manque de développement psychologique de Haizmann, ce qui enrichit la compréhension du cas en tant que manifestation de la dynamique psychologique et linguistique sous-jacente.

En conclusion, l’analyse herméneutique des « signes de l’interdiction » dans le cas de Christoph Haizmann offre une perspective multidimensionnelle qui révèle les interactions complexes entre le divin et le psychologique dans le contexte des expériences démoniaques. À partir des approches freudiennes, jungiennes et lacaniennes, les dynamiques sous-jacentes qui façonnent les expériences de Haizmann sont démêlées, invitant à une réflexion plus profonde sur la complexité  de la psyché humaine et  sa confrontation avec les forces obscures et inconnues de l’inconscient. Bien sûr, la théologie s’est intéressée à l’analyse du démoniaque par rapport à un fondement moral et religieux. Peut-être, à partir de la philosophie, pourrons-nous trouver une perspective ontologique en déchiffrant comment l’individu et sa psyché sont constitués. Nietzsche nous en donne une idée, mais il n’est pas définitif en termes d’une généalogie de la morale chrétienne enracinée dans le seuil de la pensée soumise aux dynamiques sociales et individuelles

© Eric Rodriguez Ochoa

Bibliographie

James, William. « The Demon in Patristic Theology: A Reflection of Moral and Cosmogonic Tensions. » The Journal of Patristic Studies, vol. 22, no. 2, 2008, pp. 87-104.

Lubac, Henri de. « The Demon in Patristic Theology: A Symbol of Cosmic Struggles. » Crossroad Publishing Company, 1961.

Barth, Karl. « Demonology and Redemption: The Role of the Devil in Theological Narrative. » Westminster John Knox Press, 1957.

Agustín de Hipona. « The City of God. » Translated by Henry Bettenson, Penguin Classics, 1984.

Freud, Sigmund. « Beyond the Pleasure Principle. » Translated by James Strachey, W. W. Norton & Company, 1961.

Jung, Carl. « Archetypes and the Collective Unconscious. » Princeton University Press, 2014.

Lacan, Jacques. « Écrits: The First Complete Edition in English. » Translated by Bruce Fink, W. W. Norton & Company, 2006.

Jung, Carl. « Archetypes and the Collective Unconscious. » Princeton University Press, 2014.

Freud, Sigmund. « The Ego and the Id. » Translated by Joan Riviere, W. W. Norton & Company, 2010.

Lacan, Jacques. « The Seminar on ‘The Purloined Letter’. » Translated by Jeffrey Mehlman, W. W. Norton & Company, 1992.

Nietzsche, Friedrich. « On the Genealogy of Morality. » Translated by Maudemarie Clark and Alan J. Swensen, Hackett Publishing Company, 1998.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.