Philosophie/Rire et transgression

Surenchérir : pourquoi le rire est-il transgressif ? #2

Supporters portant des masques « emoji » lors d’un match de rugby à Hong Kong

Deviens ce dont tu ris avec bonne conscience 

C’est sur ce rire libérateur, que j’aimerais désormais m’attarder. Car en quoi le rire peut-il être, comme on dit, un exutoire ? Partons de Nietzsche : « Rire signifie : se réjouir d’un préjudice, mais avec bonne conscience. »[1]De quelle réjouissance parle-t-on ici ? De quelle réjouissance maligne, se réjouissant du malheur des autres, est-il question ? Le rire porte une douce méchanceté en lui ; c’est son côté taquin, moqueur. Ce n’est pas une bassesse : c’est précisément sa hauteur, son aristocratie. Quand je me moque de quelqu’un, quand je ris de lui ou le taquine, quand j’ironise à son propos, je fais cela non pas avec mauvaise conscience – soit avec une volonté de rabaisser l’autre –, mais avec une volonté de m’élever (et de l’élever!, on le verra), de désigner à la pointe de mon humour cinglant une hauteur. Mon rire affirme ma différence : rire, c’est se différencier joyeusement de l’objet ou du sujet de notre rire.

Tout pourrait ainsi se résumer à cette formule : Deviens ce dont tu ris avec bonne conscience. Cette formulation reviendrait à cette question du Zarathoustra (« Lire et écrire ») : « Qui de vous peut en même temps rire et être élevé ? » Devenir ce dont on rit, ce n’est pas ainsi devenir ce ou celui dont on rit – ce qui n’aurait aucun sens, puisqu’on peut rire jaune, d’effroi ou de manière sarcastique du pire –, mais c’est surenchérir sur l’objet ou le sujet de notre rire ; c’est affirmer joyeusement et souverainement sa différence comme plus noble, plus vitale, plus viable. Le rire n’est jamais réducteur : il est irréductible. En riant, je ne me réduis jamais à ce dont je ris ; non, bien plutôt, je m’en excepte. Devenir ce dont on rit : c’est devenir notre éclat de rire ; avec tout ce que cet « éclat » charrie comme violence d’arrachement et d’affirmation ; c’est s’éclater en l’air ; c’est, en bref, prendre congé de la bassesse en s’élevant. ‘‘S’il vaut mieux en rire qu’en pleurer’’ : c’est que le rire anoblit et valorise, tandis que les pleurs donnent de l’importance à ce qui dévalorise. Le rire affirme ainsi de la valeur absolue, dans l’équivalence généralisée. Si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie qui rit. En sorte que le rire est le disrupteur du nihilisme, c’est-à-dire le disrupteur de la dépréciation générale et ricanante du monde. Le ricanement se distingue du rire, en ce que ricaner, c’est rire pour rabaisser, dénigrer, déprécier, réduire ; tandis que rire, c’est s’esclaffer pour élever, valoriser, apprécier, rendre irréductible et sans égal.

Lorsqu’on rit d’Alceste, dans le Misanthrope de Molière, on rit de manière à exorciser, à purger, à apaiser notre misanthropie ; c’est un rire cathartique, et non un rire d’acquiescement. Le rire, en cela, est libérateur : il libère des passions tristes, de ce qui pourrait nous rendre passif. Il expurge et assainie le corps meurtri. Riant de lui, je ne veux pas pour autant devenir Alceste, mais purifier mon corps de la tristesse et du ressentiment, des bas affects dont il est saisi et qui le ‘‘plombe’’. Je veux m’élever au-dessus de sa condition. Car c’est du ressentiment contre le genre humain que souffre Alceste (Acte 5, Scène 1) : « Puisque entre humains, ainsi, vous vivez en vrais loups,/ Traîtres, vous ne m’aurez de ma vie, avec vous. » Son mépris est encore un espoir. Sa misanthropie est une philanthropie déçue. Alors qu’au début de la pièce, il riait souverainement : « Je prends, tout doucement, les hommes comme ils sont, / J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font »(Acte I, Scène 1) Il se prend à être déçu, à ne plus affirmer son rire méprisant, son rire olympien. Son rire est pris en défaut, il défaille. Il a cru à nouveau à l’amour du genre humain. Il a cru que l’amour était possible avec Célimène. Ce qui se retourne contre lui. Il se résout à se retirer sur l’Aventin. Sa misanthropie n’est plus un rire qui tue, mais une colère qui se meurt de s’être laissée aller à la philanthropie. Elle devient esprit de vengeance, ressentiment, mauvaise conscience. S’il faut rire d’Alceste, c’est pour renchérir sur cette surenchère, pour être plus misanthrope que le Misanthrope, c’est-à-dire plus vivant, plus rieur, là où la farce est la force de la vie. Il s’agit par le rire de s’aguerrir, et donc également, de se guérir de nos passions tristes. Tout ce qui ne tue pas, rend plus fort notre rire. Ce ‘‘surenché-rire’’ est libération, élévation, surmontement des difficultés, anoblissement, renforcement.

Statuette « Molière »

Il en est d’ailleurs de même, lorsque je ris avec Clitandre, dans L’Amour Médecin, alors qu’appelé par Sganarelle pour soigner sa fille Lisette, il diagnostique celle-ci en prenant le pouls du père ! Je cite la scène (Acte 3, Scène 5) :

« LISETTE.- Le voici.
SGANARELLE.- Voilà un médecin qui a la barbe bien jeune.
LISETTE.- La science ne se mesure pas à la barbe ; et ce n’est pas par le menton qu’il est habile.
SGANARELLE.- Monsieur, on m’a dit que vous aviez des remèdes admirables, pour faire aller à la selle.
CLITANDRE.- Monsieur, mes remèdes sont différents de ceux des autres : ils ont l’émétique, les saignées, les médecines et les lavements : mais moi, je guéris par des paroles, par des sons, par des lettres, par des talismans, et par des anneaux constellés.
LISETTE.- Que vous ai-je dit ?
SGANARELLE.- Voilà un grand homme !
LISETTE.- Monsieur, comme votre fille est là toute habillée dans une chaise, je vais la faire passer ici.
SGANARELLE.- Oui, fais.
CLITANDRE, tâtant le pouls à Sganarelle.- Votre fille est bien malade.
SGANARELLE.- Vous connaissez cela ici ?
CLITANDRE.- Oui, par la sympathie qu’il y a entre le père et la fille. »

La médecine du médecin n’est pas à sa mesure, ni à la mesure de sa barbe. On ne reconnaît pas la maladie de la fille au pouls du père, mêmement qu’on ne reconnaît pas un grand requin blanc, aux dents de la mère ! Ce dont on rit ici, c’est du charlatan déguisé en médecin ; on se rit dessus, sans pour autant devenir celui dont on rit : on devient plutôt son rire sarcastique, on raille l’autre qu’on ne voudrait pas être. On en rit pour le mettre à distance, et s’en départir. Le mépris que porte le rire est toujours déjà à la limite du rire nerveux : « dites-moi que je ne suis pas ainsi, que je suis différent, plus noble, moins ridicule, moins risible ! ». Si bien que ce rire nerveux me fait advenir à moi-même. Le mépris qui éclate dans le rire est une reprise du soi depuis un lâcher-prise ; soi se reprenant, et reprenant ses esprits après s’être vautré dans les traits d’esprit ; soi se rassurant et s’appréciant en se comparant. Je ris donc je m’élève à ma hauteur.

Ou pour le dire avec Flaubert : « C’est quelque chose, le rire : c’est le dédain et la compréhension mêlés, et en somme la plus haute manière de voir la vie. » Ce dédain est la lézarde de la mise à distance, l’affirmation riante et souveraine de sa différence. Castigat ridendo mores : le rire corrige les mœurs en riant. Ainsi en est-il de l’enfant qui rit dans une cour de récréation afin de montrer à l’autre qu’il n’est pas comme lui. C’est là, au reste, le fameux sens de : « c’est celui qui dit qui est ». Si l’autre est ce qu’il dit, c’est que moi je ne suis pas à la hauteur de ses dires. La rire moqueur est une mise à distance : une affirmation joyeuse de sa différence, une manière d’être à ma hauteur. Il y a bien ainsi une compréhension qui se joue également dans le rire. Car je me comprends moi-même en riant. Dans la surenchère moqueuse du rire, je chéris ma différence, et comprend qu’elle est plus noble que ce dont elle rit. Se moquer, c’est se différencier ; affirmer vaillamment son altérité. C’est comprendre qu’être, c’est être à la hauteur de soi.

L’humour juif est l’exemple même de cet humour cathartique. L’autodérision de cette forme d’humour permet d’exorciser les immémoriaux démons de l’antisémitisme. En cela, l’humour juif est aussi transgressif : il passe sur tous les clichés anti-juifs, afin de s’en libérer. L’humour, quel qu’il soit, passe ainsi sur tout, il traverse et prend de court toutes les idées reçues, afin de défier celles-ci, et d’en sortir victorieux. En sorte que l’humour est un défi : il défie l’imbécilité, les clichés racistes, sexistes, homophobes, afin de s’aguerrir face à la bêtise, et de se guérir de cette dernière. Il faudrait, par là même, avoir toujours un dâimon juif en soi, afin de se réjouir de tous ses préjudices, et de s’aguerrir en se guérissant de toutes les mauvaises langues qui cherchent à rabaisser, au lieu que d’élever.

En dressant un tel portrait de l’humour, on pourrait en conclure que celui-ci est fondamentalement égoïste. Si rire, c’est s’élever, quid de l’autre avec qui l’on rit ? Mais lui aussi s’élève!, et a à s’élever dans mon éclat de rire, afin d’être plus éclatant, plus brillant qu’il n’était déjà. L’humour renvoie ainsi, comme le dit Nietzsche, au « raffinement de la cruauté » : à un mauvais esprit, à un esprit taquin, qui cherche à piquer l’autre, non pas pour le rabaisser, mais afin de pointer ses faiblesses, et de les invertir en forces. Et c’est-là une amitié très raffinée! Le divertissement du rire est un invertissement. Rire, c’est faire de ses faiblesses, une force ; c’est faire de ses défauts, un avantage ; c’est faire, enfin, du négatif, quelque chose de positif. L’humour – la taquinerie, la moquerie – est donc le retournement de la négativité en positivité. Il est un exutoire : riant, je me libère du trop-plein de stéréotypes, de clichés, d’idées reçues qui m’accablent, et me poussent à craindre cette vie. Riant, donc, je me libère innocemment pour la vie. J’exhibe cette dernière dans sa vérité, c’est-à-dire dans sa richesse innocente, où vivre revient au pur et simple plaisir de se réjouir de la vie.

Le double sens du rire : sens dessus dessous

Portrait de Friedrich Nietzsche

Le rire est toujours déjà écartelé par le « double sens ». Le décalage contenu dans tout « humour décalé » est précisément le décalage de ce « double sens » qui me dépasse (comme on s’exclame : « ça me dépasse, ce genre d’humour… »), et double le « bon sens » par tous les côtés. Faire rire, c’est provoquer ce décalage, cette non-coïncidence de soi à soi, c’est « excéder » l’autre (point commun avec la colère et le fait de mettre l’autre « hors de soi ») jusqu’au point de non-retour, jusqu’à la rupture de nerfs. C’est donc opérer une césarienne, afin que l’autre se bidonne à ventre ouvert. Ce ne sont là ni ‘‘métagores’’ ni métaphores, mais la manière dont je ris à gorge déployée. Il y a certes plus d’un rire, mais pour ce qui concerne le rire fou – ou le ‘‘fou-rire’’, comme on dit –, il y va d’une perte d’esprit, d’une expulsion de soi hors de soi, d’une grimace où je deviens méconnaissable, d’une incontinence des nerfs allant jusqu’à faire « pleurer de rire ». Le rire est ainsi à l’image de la maison de Charlie Chaplin, dans La ruée vers l’or : il bascule dans le vide au bord de l’abîme, il s’abîme dans le sans-fond, dans une ex-périence qui est dépassement, traversée de soi, au risque de la perte de soi dans la déflagration d’un éclat de rire. Riant, je suis comme le coyote de Ça cartoon : je cours dans le vide avant de chuter dans l’abîme. Le « double sens » de l’humour provoque dès lors, à l’extrême, un double de moi : quand je ris, je perds mes esprits, et ne suis plus tout à fait moi-même.

Cet écartèlement du comique par le « double sens », c’est encore le drame de la communication impossible. Pour exemple, Les femmes savantes de Molière (Acte 2, Scène 6) :

« BELISE – Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
MARTINE – Qui parle d’offenser grand’mère ni grand’père?
PHILAMINTE – Ô ciel!
BELISE – Grammaire est prise à contresens par toi,
Et je t’ai dit d’où vient ce mot.
MARTINE – Ma foi !
Qu’il vienne de Chaillot, d’Auteuil ou de Pontoise,
Cela ne me fait rien .
BELISE – Quelle âme villageoise !
La grammaire, du verbe et du nominatif,
Comme de l’adjectif avec le substantif,
Nous enseigne les lois.
MARTINE – J’ai, Madame, à vous dire
Que je ne connais point ces gens-là.
PHILAMINTE – Quel martyre !
BELISE – Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder
En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder.
MARTINE – Qu’ils s’accordent entr’eux, ou se gourment,
Qu’importe? »

Le comique, ici, c’est le double registre, le feuilletage du sens – sens dessus dessous. Belise parle à Martine de grammaire, et de l’accord des mots entr’eux, mais Martine n’y pige que couic : qu’ils s’accordent ou « se gourment », qu’ils s’écharpent ou s’escriment, qu’ils viennent même, ces mots, du grec de Pontoise ou ou du latin d’Auteuil, elle s’en moque ! L’étymologie pour elle est une géographie de pâté de maisons. L’une parle de grammaire, l’autre comprend « grand’mère ». Jouant sur l’homophonie, c’est-à-dire sur la musicalité des mots (ce qui, depuis Platon, est le cratylisme de l’humour), Molière brouille les émetteurs, et l’émission même du sens. A tous les sens, le sens est sens dessus dessous, disséminé, mis en charpie. (Que peut la musique d’un mot ? Vieille question du Cratyle. Elle peut à tout le moins faire rire. Mais elle peut aussi faire penser : qu’on regarde de près le Cratyle, ou Lewis Carroll, ou Joyce, ou Leiris, ou Heidegger, ou Lacan, ou Derrida. Le Witz est, on le sait, plein d’esprit! Seul Deleuze, dans Critique et clinique, fors ceux que je viens de citera été attentif à cette dimension de la langue, en la prenant – comiquement – au sérieux[2].) Histoire de quiproquo ou de malentendu, dont Raymond Devos – ce grand et beau comique, à qui personne ne rend justice – était l’héritier dans « la langue de Molière ». Dialogue de sourds, donc : « il m’est arrivé de prêter l’oreille à un sourd, eh bien, il n’entendait pas mieux ! »(Devos). Quiproquo encore concernant « l’ouïe » et le verbe « ouïr ». Je le cite longuement, juste pour rire, ou non, juste pour penser un peu avec lui :

« Il y a des verbes qui se conjuguent très irrégulièrement. Par exemple, le verbe ouïr. Le verbe ouïr, au présent, ça fait: J’ois… j’ois… Si au lieu de dire « j’entends », je dis « j’ois », les gens vont penser que ce que j’entends est joyeux alors que ce que j’entends peut être particulièrement triste. Il faudrait préciser: « Dieu, que ce que j’ois est triste! » J’ois… Tu ois… Tu ois mon chien qui aboie le soir au fonds des bois ? Il oit… Oyons-nous ? Vous oyez… Ils oient. C’est bête! L’oie oit. Elle oit, l’oie! Ce que nous oyons, l’oie l’oit-elle? Si au lieu de dire « l’oreille », on dit « l’ouïe », alors: Pour peu que l’oie appartienne à Louis: – L’ouïe de l’oie de Louis a ouï. – Ah oui ? Et qu’a ouï l’ouïe de l’oie de Louis ? – Elle a ouï ce que toute oie oit… – Et qu’oit toute oie ? – Toute oie oit, quand mon chien aboie le soir au fond des bois, toute oie oit: ouah! ouah! Qu’elle oit, l’oie!… Au passé, ça fait: J’ouïs… J’ouïs! Il n’y a vraiment pas de quoi! »

Jacques Lacan

C’est naturellement de l’humour, une agglutination d’homophonie, de jeux de mots, mais c’est aussi d’une beauté profonde, comme cette phrase insondable, que Freud comme Derrida pourraient partager : « Dieu, que ce que j’ois est triste ! ». Oui, « Dieu, que ce que joie est triste ! » Il n’y a d’ailleurs de joie, de jouissance, pour eux, que depuis les larmes : « jouir et pleurer la mort qui guette, pour moi c’est une seule et même chose », écrivait Derrida dans Apprendre à vivre enfin. De même en est-il, chez Freud, pour qui l’au-delà du principe de plaisir est le creusement de la mort au cœur de son principe même, par quoi tout plaisir se plaît à souffrir le détour de la mort. Tout plaisir, en cela, est plaie-sir, tristesse joyeuse, joie attristée. Si l’humour est la politesse du désespoir, c’est que le rire n’est pas toujours un pur rire. Il peut être aussi tragique ou tragicomique, éclat même du deuil.

Tout aussi profond, et fonctionnant comme le levier de tout le texte, le passé d’ « ouïr » qui fait : « J’ouïs ». Du reste, on voit bien ici, que l’impératif n’est pas de jouir de ce qui s’entend. Ou alors si, mais la jouissance est telle, qu’elle est comme un cri qui nous fait perdre l’ouïe, c’est-à-dire qui nous fait perdre le sens qui devrait nous faire jouir de tout cela. Ça parle trop, et trop fort! « Jouissance opaque d’exclure le sens, écrivait Lacan. On s’en doutait depuis longtemps. Être post-joycien, c’est le savoir. »[3] Raymond Devos le savait : le rire est aussi dans cette « jouis-sens » en « ab-sens » de la « j’ouïssance », comme l’écrivait souvent Lacan. Soit dans la déroute du quiproquo, du sens sens dessus dessous, du malentendu. En pareil cas, on jouit de ce dont on ne peut « j’ouïr ». En sorte que la jouissance jouit de ce qui s’absente dans le non-sens de ce qui ne se comprend plus. On appelle cela : l’humour absurde. Celui-là même que Deleuze repérait chez les stoïciens, et chez Chrysippe notamment, tel que raconté par Diogène Laërce dans ses Vies et doctrines des philosophes illustres : « Si vous n’avez pas perdu une chose, vous l’avez, or vous n’avez pas perdu de cornes, donc vous avez des cornes ».

(Je souligne ici que les Universitaires qui s’offusquent, et soupirent, à entendre la langue jouait son jeu – comme ils s’en sont offusqués à propos de Heidegger, Lacan ou Derrida – devraient au plus vite comprendre, que le problème n’est pas cette langue, mais leur rapport à la langue – au sens lacanien –, soit à leur jouissance devant laquelle ils angoissent. « Donnez-nous sans plus attendre à ouïr et à jouir, nous qui ne jouissons pas ! » Faisant présider à chacun de leur article inutile le nom d’un auteur, il est inévitable qu’ils ne parlent jamais en leur nom, ni ne jouissent jamais en le leur. Jouisseurs par procuration, ils s’offusquent comme des Tartuffes de voir un véritable auteur jouir dans et de la langue. Ce qui ne peut que prêter à rire, avec dédain, encore une fois. Spécialiste de la Critique de la raison puritaine et de la Volonté d’impuissance –- signée par Nichts –, ils n’écriront jamais, pour rire, Ainsi parlait Kamasutra, ou pour pisser de rire, la Diuréthique de Spinoza. De ce rire, j’y fais ici écho avec Lacan : « A deux de ces personnes qu’on appelle des nullités, ce qui dans l’opinion, étudiante tout au moins, ne fait que mieux valoir leur titre à occuper la place de professeur, je disais, il y a bien quelque treize ans : « N’oubliez pas qu’un jour vous donnerez comme sujet de thèse ce que j’écris pour l’instant. » (…) C’est donc arrivé. Il n’est rien arrivé à eux, à moi seulement : me voici sujet de thèse par mes Écrits. »[4] À bon entendeur…)

© Valentin Husson


Retrouvez la première partie de ce cycle d’étude consacré au rire en cliquant ICI

Retrouvez la troisième partie de ce cycle d’étude consacré au rire en cliquant ICI


Notes :

[1] Nietzsche, Le gai savoir, Livre troisième, §200, trad. Klossowski, Paris, Folio essais, 2008, p.173.

[2] Deleuze, Critique et clinique, Paris, Les éditions de minuit, 1993. Cf. « Louis Wolfson, ou le procédé », « Un précurseur méconnu de Heidegger, Alfred Jarry ».

[3] Lacan, Autres écrits, « Joyce le symptôme », Paris, Seuil, 2001, p.572.

[4] Lacan, Autres écrits, « Préface à une thèse », op.cit., p.393.

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