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Pour 2019 | (Re)lire « Doki Doki Literature Club! » de Dan Salvato avant qu’il ne soit trop tard

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Pour peupler vos bibliothèques et vous donner envie de lire ou relire des ouvrages en 2019, nous vous proposons pendant cette semaine, un conseil par jour d’un de nos auteurs à propos d’un ouvrage lui tenant particulièrement à coeur et qu’il est urgent de lire cette année. C’est Grégoire von Muckensturm qui clôture cette série avec Doki Doki Literature Club! créé par Dan Salvato.


Ma recommandation de lecture revient à Doki doki literature club!DDLC – qui est le meilleur roman auquel j’ai joué en 2018. Appartenant au genre du visual novel, il est à la frontière entre jeu vidéo et simple récit. Le visual novel se compose d’illustrations fixes à texte déroulant et la lecture s’accompagne de choix à prendre qui changent le cours du jeu. Il est le plus souvent question de draguer l’élue de son cœur parmi un panel de lycéennes stéréotypées. DDLC applique parfaitement la règle mais il est pertinent de le traiter ici car plutôt que de développer un scénario classique, il propose une réflexion sur le genre même qu’il incarne et les possibilités d’expérimentations métas au sein de ce cadre ; ce qui plaît toujours au tempérament philosophe. En vous faisant entrer dans un club de littérature, DDLC n’hésite d’ailleurs pas à rendre hommage à son ancêtre papier.

Quand durant son ouverture DDLC s’attache exclusivement à critiquer en parodiant le genre du visual novel, il prend un malin plaisir à n’offrir que l’illusion du choix. Une première façon de révéler qu’il est stupide de chercher à s’amouracher de personnages virtuels entièrement scriptés. La première heure de jeu, somme toute assez décourageante, ne vous donne d’autre possibilité que de subir le cours de l’histoire sur lequel il n’est pas possible d’influer. Tout comme un roman, DDLC vous emmène là où il veut et vous laisse spectateur de son déroulement, sans aucun ménagement. Mais du fait de sa nature vidéoludique, cela demeure extrêmement frustrant — d’autant plus qu’il le fait ouvertement de manière à vous narguer dès qu’il simule votre possibilité de choisir la suite du déroulement. Cette partie de pur récit comportera par ailleurs son lot de conseils d’écriture de poèmes de forme libre et de références à des auteurs fictifs, afin d’ajouter une couche de raillerie à votre encontre.

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Bien sûr, là ne s’arrête pas l’intérêt de DDLC pour une chronique littéraire. L’important est, au-delà de l’aspect littéraire du contexte, qu’il développe de nouvelles méthodes narratives car il a entièrement conscience de sa particularité et tire le meilleur de ses deux genres, le jeu vidéo et le roman. Le jeu vidéo rend le lecteur actif, comme les livres dont vous êtes le héros peuvent le faire. Paradoxalement, DDLC s’immisce plus en profondeur dans cette lecture active en réduisant au maximum la dimension particulière du joueur pour le faire devenir simple personnage du récit. En plus de n’avoir pas plus de contrôle que les autres personnages, le joueur est entièrement pris à parti par ces derniers. La fiction est de plus en plus fine tant le jeu s’impose et vous incorpore contre vos gré dans le déroulement des événements. Dès lors, alors que DDLC vous intègre à son récit sans vous laisser le contrôler, une sensation de claustrophobie se fait grandissante et sera de plus en plus exploitée. Même le temps sera utilisé comme moyen de ce but d’emprisonnement. Le lecteur est alors beaucoup plus ancré dans l’histoire puisqu’il en fait partie intégrante, ce qui n’est pas le cas des livres dont vous êtes le héros où le lecteur se détache tout de même du reste.

C’est une fois que tous ces mécanismes seront savamment mis en place que DDLC pourra 5430b78e7518d1a67f8e62d9728a05bc
révéler tout son art. La deuxième partie dépendra complètement de ces postulats et, tout en allant complètement ailleurs, se construira autour de ces bases solides. Une scission qui permet de différencier clairement le visual novel classique de toute l’expérimentation et la redéfinition propre à DDLC. Si tout le récit change de direction, il n’est en revanche nullement question d’abandonner le sentiment de claustration. Celui-ci change juste de nature : alors qu’avant les personnages étaient aussi passifs que le joueur, ce qui lui laisse prolonger une certaine impression de contrôle et de supériorité sur eux, ils vont finir par s’émanciper. Aux premiers abords le malaise vient du lot de détails sordides lancés par chaque personnage, comme des appels à l’aide auxquels on ne peut répondre — si ce n’est en les utilisant égoïstement à nos fins de conquête. Puis, ce sera au tour des ces personnages de prendre le contrôle et de vous faire regretter vos agissements. En brisant une dernière fois la limite entre personnages programmés et réelle intelligence artificielle, il ne sera plus question de flirter avec des « filles faciles » mais de survivre à leurs agressions. Le tout s’achevant dans un coup de théâtre on ne peut plus magistral qui justifiera l’intégralité de l’œuvre tout en lui donnant une nouvelle dimension. Ajoutons cela : le point culminant s’achève lors de l’obligation d’effectuer des actions hors du jeu pour réussir à s’en émanciper.

DDLC ne se contente pas seulement de critiquer le genre du visual novel mais prend plutôt le temps de démontrer tout ce qu’il est possible de faire avec jusqu’à le redéfinir. Ceci dit, c’est la première fois qu’au cours du récit, un personnage se suicide à cause de moi pendant que les autres me séquestrent ou me torturent…

© Grégoire von Muckensturm


 

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