Arts/Esthétique/Philosophie

Hommage à Christian Boltanski | Errer parmi les fantômes

Christian Boltanski devant son oeuvre « Chance », installée en 2011 au Pavillon Français lors la 54e Biennale de Venise

Il est toujours malheureux d’apprendre la mort d’une personne centrale dans le champ culturel, qu’elle soit artiste, scientifique, écrivain, penseur… Mais dans celle de Christian Boltanski demeure une autre dimension, comme une fatalité moindre pour celui qui a constamment cherché à neutraliser la mort. Il n’est pas possible d’utiliser ici un des nombreux euphémismes rappelant de manière détournée qu’une personne n’est plus. Si nous voulons respecter les choix conceptuels de Boltanski, nous ne pouvons que constater, sans aucun artifice, sa mort. Mais fort heureusement, il n’est en aucun cas « disparu » ; état bien plus sinistre dans lequel il espérait ne jamais se trouver.

C’est pour cela qu’il a voué sa vie entière et son œuvre à lutter contre la mort. Toute personne est un être-en-vue-de-la-mort comme le souligne Heidegger, mais personne ne se sera autant révolté contre cette vérité que Boltanski. En cherchant à « mettre sa vie en boîte », il transforme ses œuvres en mémoriaux. La volonté de laisser une marque dans l’Histoire, raison sous-jacente de l’acte créatif, est chez lui promulguée au premier plan au point de devenir le début et la fin de tout son travail. Chaque création est le vecteur de la remémoration et n’existe que pour le souvenir qu’elle fait intervenir. L’absurdité étant que pour que le souvenir existe, tout doit s’effacer derrière lui, alors que le but premier était de ne pas disparaître…

Que signifie finalement lutter contre la mort ? Dès ses débuts emplis d’une esthétique de l’échec, Boltanski sait très bien qu’il est vain de lutter contre la mort physique. Cependant, dans l’esprit, par la mémoire et ses souvenirs, le processus de la mort peut être entravé. La disparition d’un corps n’est pas la disparition de la personne qui existe encore dans les mémoires. Tirant parti de ce constat, Boltanski n’a eu de cesse d’explorer le fonctionnement de la mémoire dans le but de créer des souvenirs qui soient les plus perdurables possible. Il s’agit bien là de créer des souvenirs sans quoi ils sont enclins à changer ou disparaître. Il est nécessaire de falsifier un peu les faits pour les rendre plus mémorables. La mémoire retient très mal l’ordinaire.

« Misterios » (2017). (Archives Christian Boltanski/Christian Boltanski/Adagp, 2019)

Cette recherche de l’ultime souvenir, celui qui sera impérissable et fera entrer son géniteur dans les mémoires pour toujours, aura conduit Boltanski dans ses retranchements tant elle s’avérait impossible. Le problème est le suivant : le souvenir ne peut perdurer en lui-même et toutes les preuves documentaires tangibles ne sont rien sans lui. Jusqu’à l’échec de la photographie sensée irrémédiablement fixer un instant mais qui n’est en fait pas capable de l’expliquer. Malgré cela, il semble être parvenu à son but avec ses toutes dernières œuvres monumentales. Bien sûr qu’en laissant une trace directement dans le paysage, il sera difficile d’être oublié. Mais la force de ces œuvres réside dans leur histoire qui leur est indissociable et continueront d’évoluer après sa mort. En ce jour, nous sommes  seulement témoins de la seconde mort de Boltanski car selon lui la mort physique fait suite à la mort de l’enfance et précèdent la véritable mort, la disparition des mémoires.

Christian Boltanski en luttant constamment contre, n’a vécu sa vie que pour la mort. Mais cela permet à sa mort de devenir une simple étape de son parcours et de son travail qui ne se terminent pas aujourd’hui. Il nous incombe de ne pas mettre à mal son ambition et de faire perdurer sa mémoire afin de ne pas lui imposer la troisième et dernière mort. Ainsi, il n’est pas impossible que dans un lointain futur, des personnes découvriront des œuvres  abandonnées en plein désert et la légende de l’homme qui les a placé ici pour ne jamais disparaître.

© Grégoire von Muckensturm


Nous mettons à télécharger le travail de recherche menée en 2016 à la Faculté de philosophie de Strasbourg par Grégoire von Muckensturm en 2016 autour de l’oeuvre de Christian Boltanski, intitulé : Art, mémoire et mythe à travers l’oeuvre artistique de Christian Boltanski.

Cliquez sur le lien suivant pour accéder au téléchargement : Art, mémoire et mythe à travers l’oeuvre artistique de Christian Boltanski (G. Muckensturm, 2016)


 

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