
Patrick Wotling
Patrick Wotling est un historien de la philosophie et traducteur français. Ancien élève de l’École normale supérieure-Ulm, agrégé de philosophie, il est professeur de philosophie à l’Université de Reims, ainsi que spécialiste et traducteur de l’oeuvre de Nietzsche Il a publié Nietzsche et le problème de la civilisation (PUF, 1995), La pensée du sous-sol, Paris (Allia, 1999) ou encore La philosophie de l’esprit libre : Introduction à Nietzsche (Flammarion, 2008). En octobre 2016, il publie « Oui, l’homme fut un essai » : La philosophie de l’avenir selon Nietzsche, l’occasion pour nous de nous entretenir autour de la place de la philosophie de l’avenir, un des thèmes centraux chez Nietzsche.
Diriez-vous que la philosophie de l’avenir est ce qui donne une consistance et une cohérence à la totalité de l’oeuvre de Nietzsche ?

« « Oui, l’homme fut un essai » : La philosophie de l’avenir selon Nietzsche », Patrick Wotling (PUF, 2016)
Ce qui donne sa cohérence à la réflexion nietzschéenne, c’est le problème de la culture, ou en d’autres termes la problématique des valeurs, dont Nietzsche montre qu’elle doit se substituer à la problématique de la vérité. Les philosophes ont jusqu’à présent toujours cru trouver, à tort, dans la recherche de la vérité la forme la plus radicale de questionnement. Nietzsche établit que la vérité, loin d’être une réalité autonome qui pourrait jouer comme une norme absolue, est en fait elle-même conditionnée par des options axiologiques particulières. La radicalité d’investigation qu’incarne la philosophie exige par conséquent que celle-ci se règle sur l’analyse des valeurs et de leur logique. Cette enquête, selon Nietzsche, possède deux versants : le premier, que l’on peut par commodité désigner par le terme (tardif) de généalogie, s’intéresse aux valeurs comme productrices d’interprétation de la réalité, et s’efforce d’en déterminer les retombées, bénéfiques ou nuisibles selon les cas, pour la vie humaine ; le second consiste à déterminer les techniques permettant le cas échéant de remplacer des valeurs reconnues pour nocives par des valeurs affirmatrices, susceptibles d’assurer à long terme l’épanouissement de la vie humaine : telle est la philosophie de l’avenir. C’est bien en fonction de cette visée que se règle le questionnement de Nietzsche, qui rappelle fréquemment que le philosophe a pour tâche de servir l’humanité en médecin. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette compréhension de la tâche philosophique est une retombée directe de son exigence de radicalité, laquelle conduit à identifier dans la position de préférences axiologiques (de valeurs) le mode même de conditionnement qui anime la réalité tout entière.
Le modèle du traducteur a été très important pour vous dans votre travail sur Nietzsche, ainsi que pour la compréhension du travail du philosophe lui-même. C’est du moins le pathos de cette activité de déplacement qui vous a permis de cerner plus synthétiquement que d’autres la complexité des analyses nietzschéennes. Que pourriez-vous nous apprendre, toujours dans ce plan fondamental, sur la notion d’avenir ? C’est-à-dire à la fois dans l’investigation de la qualité pulsionnelle vers laquelle l’« avenir » renvoie dans l’immédiat le plus vif et proche, et dans le prolongement de l’expérimentation sur le long terme – cette capacité de durée qui constitue la problématique du temps chez le philosophe ?
La traduction constitue en effet l’une des activités au moyen de laquelle Nietzsche modélise la tâche philosophique, ou du moins son premier versant. La pensée est assimilable à un travail de transfert linguistique. Ce modèle permet de caractériser le type de rigueur exigé par le travail philosophique, et du même coup, la philologie s’infléchissant vers la psychologie, le type d’affectivité ou de pulsionnalité simultanément requis. Il importe de savoir lire, en d’autres termes déchiffrer, et traduire dans la langue qui nous est compréhensible, le texte de la réalité – le texte des cultures, donc, le texte des types « homme » rendus prédominants par les différents types possibles de choix axiologiques. Ce qui revient à dire : comprendre les effets sur l’homme de ces divers types de conditionnement en termes de santé ou de maladie. Le travail effectué dans le premier traité de La généalogie de la morale sur l’émergence des valeurs chrétiennes en offre un exemple détaillé. D’une lecture rigoureuse dépend la justesse du diagnostic, qui fondera à son tour (ou non) une action visant une réforme axiologique. Savoir lire, Nietzsche le souligne sans cesse, est donc le point de départ de l’investigation du philosophe. Or savoir lire exige avant tout de la retenue, de la circonspection, de l’aptitude à suspendre ses désirs et ses attentes, qui si souvent influent secrètement sur notre lecture du réel en en déformant le texte même. La prudence et la patience sont deux vertus essentielles du traducteur ; elles le seront de même du philosophe soucieux de l’avenir de l’homme. Nous sommes aux antipodes de l’image d’Épinal d’un Nietzsche intrinsèquement virulent et activiste : les pensées qui mènent le monde viennent sur des pattes de colombe. Celles qui façonneront l’avenir sont de ce genre. Et en termes d’affect, c’est l’amour de l’homme qui guide l’entreprise, Nietzsche le rappelle souvent et va jusqu’à caractériser Dionysos par ce type d’affectivité. Ce n’est qu’une fois assurée la rigueur du déchiffrage et du diagnostic, que, si les valeurs s’avèrent porter la négation de la vie, s’exercera la contrainte – qui n’est pas nécessairement la violence – destinée à brider ces tendances en enracineant des préférences axiologiques affirmatrices et propices à l’intensification de la vie humaine.
Pourriez-vous traduire à votre tour, ou du moins esquisser pour nous ici, à travers la notion d’avenir, un peu de la complexité des articulations du projet nietzschéen ?
Le point capital tient au sens que Nietzsche associe à ce terme, par lequel il ne désigne pas simplement le cours des événements qui surviendront ultérieurement, mais d’abord une caractéristique qualifiant certains modes d’organisation de la vie. Le mode d’existence humain, c’est-à-dire la manière pour l’homme d’organiser son action, son rapport à la réalité, ses priorités peut se décliner selon une infinité de formes – ce que Nietzsche désigne par le terme de « types ». Depuis le platonisme, par exemple, la manière européenne d’agencer la vie a consisté à la régler sur la vénération du vrai, du bien et d’un ensemble de valeurs ayant la particularité de tourner le dos aux éléments sensibles (donc changeants, soumis au devenir, multiples) : vivre a consisté dans ces conditions à valoriser exclusivement des préférences supra-sensibles, et à organiser tyranniquement toute la manière d’agir et de sentir en fonction de la satisfaction de leurs demandes. D’autres types de culture privilégieront de toutes autres préférences. Or, l’impact exercé à terme sur le développement de la vie humaine variera du tout au tout selon le degré d’accord ou de contradiction entre ces valeurs, posées comme conditions de vie, et les exigences de la vie organique. C’est de ce rapport que découle le caractère sain ou malade de la forme de vie qui se trouve privilégiée et élevée par une culture, et qui donc détermine la possibilité pour une communauté humaine d’assurer le maintien et le développement harmonieux à long terme – l’avenir, au sens que Nietzsche prête à cette notion – de l’existence. C’est en ce sens que Nietzsche déclare par exemple que l’on ne peut pas vivre avec la vérité : c’est une valeur qui, si on l’adopte, conduit la vie à se retourner contre elle-même et à se condamner elle-même.

Friedrich Nietzsche
A partir d’Ainsi parlait Zarathoustra, vous montrez bien que la philosophie de l’avenir est de l’ordre d’un vouloir actif, bien plutôt que d’une simple attente passive. Ce que Nietzsche appelle est-il selon vous de l’ordre du projet philosophique ou d’une méthode à l’usage des philosophes à venir ?
Il ne fait aucun doute qu’aux yeux de Nietzsche, cette tâche, vitale pour l’humanité, mais simultanément redoutable, par sa complexité, et dangereuse, puisqu’elle touche aux conditions de vie mêmes de l’homme (en tout cas de l’homme dans la culture d’inspiration platonicienne), est véritablement la colonne vertébrale de l’activité philosophique rigoureusement comprise : le philosophe doit se comprendre comme « médecin de la culture ». Son souci organisateur est l’élévation du type « homme », comme l’affirme par exemple le § 257 de Par-delà bien et mal. Sa tâche véritable est la législation en matière de valeurs, qui doivent désormais être sélectionnées et imposées en fonction du bénéfice qu’elles apporteront à l’homme (c’est-à-dire à la forme de vie ou aux formes de vie qu’il incarne), et non plus triompher et régner sur la seule base du hasard et de l’irrationalité. Il faut toujours demeurer conscient du fait que si Nietzsche soutient la compréhension de la philosophie comme radicalité en matière de pensée, il reproche aux philosophes tels qu’ils ont existé jusqu’à présent, d’avoir toujours trahi cette exigence. La compréhension de la philosophie comme activité théorique (recherche de la vérité), occultant et la strate des valeurs et son caractère directement conditionnant pour la vie, était la première de ces trahisons.
Nietzsche développe la thématique de l’inactualité, en approchant des caractéristiques propres de l’antimoderne. Il dit explicitement que La naissance de la tragédie est « une oeuvre antimoderne[1]». Néanmoins, est-ce que cela suffit à faire de Nietzsche un antimoderne au même titre de Baudelaire ou Joseph de Maistre (pour ne citer qu’eux) ?
Nietzsche dit le même genre de choses de plusieurs de ses autres ouvrages, tout particulièrement de Par-delà bien et mal, dans lequel il présente une critique de toutes les caractéristiques majeures de la modernité : l’hypervalorisation de la scientificité, la forme qu’y prend la politique ou encore la morale ou la vie religieuse, évoluant toutes trois vers la reconnaissance quasi-exclusive de la pitié, bref les traductions concrètes des « idées modernes », à savoir le rejet de l’idée de hiérarchie et la condamnation furibonde de la souffrance, qui deviennent les valeurs prédominantes de l’âge contemporain en Europe. Mais l’explicitation de la critique de la modernité par la notion d’inactualité indique toute la spécificité de la position nietzschéenne à cet égard, qui l’éloigne, en particulier, d’une position de type politique. Une option de cette nature, réactionnaire et passéiste, par exemple, resterait de l’ordre (superficiel) de l’opinion d’une part, et d’autre part n’incarnerait jamais qu’une attitude négatrice, nourrie d’affectivité destructrice, aux antipodes de ce que doit être l’action du philosophe. L’inactualité impose à ce dernier non de détruire pour espérer (illusoirement) retourner à une forme de culture antérieure, mais avant tout d’être la mauvaise conscience de son temps, ce qui signifie d’identifier les valeurs qui règnent dans sa culture présente, et surtout d’en expertiser la valeur — ainsi que Nietzsche le faisait par exemple dans les Considérations inactuelles au sujet du privilège démesuré accordé à l’histoire et à l’orientation de pensée qu’elle implique et impose partout à l’époque contemporaine.

Joseph de Maistre
Vous consacrez de nombreuses pages importantes au sujet de la philologie, à son rapport avec la philosophie et la temporalité. Pouvons-nous penser que, selon Nietzsche, la généalogie peut être la méthode historique des philosophes à venir ?
Pas uniquement historique, pas essentiellement historique. La généalogie, qui comporte elle-même deux phases dont les commentateurs oublient trop souvent la seconde, se propose d’abord d’identifier les sources productrices d’une interprétation (la filiation est donc psychologique, non simplement historique), ensuite d’évaluer la valeur des sources ainsi identifiées, la valeur des valeurs donc. L’une des tâches, cyclopéenne, des philosophes sera désormais en effet de mener à bien une expertise aussi étendue que possible des différents types de valeurs que les communautés humaines, par le passé, ont fixé comme préférences régulatrices de leur manière de vivre, pour apprécier – et la documentation historique ou ethnographique sera ici un appui précieux – les effets qui ont été ainsi induits par ces conditions de vie sur ces communautés : ont-elles prospéré ? Ont-elle sombré, en proie au dénigrement de la vie par elle-même ? Ont-elles garanti à ces communautés la durée ? Un rapport lucide et efficace à la réalité ? Ont-elles favorisé au contraire des interprétations déformées, avec lesquelles il n’était pas possible de vivre à long terme ? Cette sorte de cartographie axiologique, à laquelle Nietzsche réfléchit très précisément à la fin des années 1880, constitue un préalable indispensable au projet qui est celui du philosophe législateur, à savoir arracher la vie des valeurs au hasard qui a, pour le meilleur mais surtout pour le pire, jusqu’à présent gouverné l’histoire humaine, guider la structuration de la vie humaine de manière éclairée et rationalisée.
« Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. Les institutions, les mœurs et les coutumes […] sont une efflorescence passagère d’une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être de permettre à l’humanité d’y jouer son rôle », écrivait Claude Lévi-Strauss. Est-ce que Nietzsche, lorsqu’il parle de l’homme comme un essai rejoindrait ce type de considération ?

Claude Lévi-Strauss
Oui, ou plutôt Lévi-Strauss retrouve un type de considération que Nietzsche a abondamment développé avant lui. Dès un de ses premiers textes philosophiques, Vérité et mensonge au sens extra-moral, il soulignait cette perspective, à la faveur d’une mise en scène spectaculaire : « Au détour de quelque coin de l’univers inondé des feux d’innombrables systèmes solaires, il y eut un jour une planète sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l’« histoire universelle », mais ce ne fut cependant qu’une minute. Après quelques soupirs de la nature, la planète se congela et les animaux intelligents n’eurent plus qu’à mourir ». Animal si volontiers orgueilleux, l’homme en effet n’est ni le sommet de la réalité, ni, encore moins, sa justification secrète. Le Gai savoir soulignera encore le ridicule de la présomption par laquelle nous nous plaçons si souvent au centre de la création. C’est une leçon qui a de fait fortement impressionné la pensée française contemporaine, et dont les échos, selon des styles et des modalités diverses, se lisent, par exemple, aussi bien chez Lévi-Strauss que chez Foucault.
Le type des législateurs de l’avenir est-il l’héritier de ce que Platon appelle les philosophes-rois ? Est-ce une affinité qui permettrait de faire rejoindre leur projet politique ?
Il y a quelque chose – et quelque chose de fondamental – que Platon et Nietzsche ont en commun, et ce dernier en est parfaitement conscient, le signalant parfois dans des notes principalement posthumes : tous deux ont compris que l’exigence de radicalité qui informe l’idée même de philosophie impliquait de concevoir celle-ci comme une activité fondamentalement pratique, conditionnant la forme prise par la vie humaine. La philosophie est fondamentalement une législation. Cela justifierait le rapprochement avec les philosophes-rois, mais uniquement dans une certaine mesure. La pratique qu’est la philosophie n’est pas politique au sens usuel, ni même au sens philosophique du terme, puisque Nietzsche la condamne comme une activité superficielle. Elle relève au contraire de ce qu’il appelle parfois la « grande politique » : l’activité de transformation de l’homme à partir de la modification des valeurs. Si cette ambition excède la mission des philosophes-rois, en revanche, elle caractérise parfaitement, selon Nietzsche, ce que Platon lui-même — et non les philosophes qu’il met en scène dans La République — a réellement voulu faire : modeler l’homme de manière nouvelle, tout en prétendant, conformément à la « nature de sphinx » qui était la sienne, et qu’il jugeait peut-être nécessaire à cette entreprise, être amoureux de la vérité.
Entretien préparé par Jonathan Daudey, avec la participation de Yassine Lahmidi
Propos recueillis par Jonathan Daudey
Note :
[1] Nietzsche, Friedrich. FP XIV, 14[19], p. 32
Cher monsieur Wotling je vous remercie pour l’entretien sur ces thèmes nietzschéen. Je suis Régis A. Barbier, médecin, j’ai fait quelque cours de philo, j’habite à Recife, Brésil, depuis 1972 et je publie quelles livres et articles (en portugais) sur le site « Instituto Universo Panteísta ». Si bien que je ne maitrise pas assez le français pour être plus clair, j’ose interagir en vous envoyant quelques considérations suscitées par vos intéressants propos.
Mon intérêt philosophique est centré sur la perspective métaphasique éclipsé depuis les guerres médiques et, plus tard, par Platon (entre autres). Une perspective qui, aujourd’hui, essaye de repercer la trame civilisatrice, sans grand succès, en demande d’une exposition bien défini, qui seule, à mon avis, permettra la nucléation d’une nouvelle et plus saine constellation de valeurs.
Donc, il est pour moi évident que l’encadrement général de la panoplie d’idées que vous proposez est d’ordre métaphasique ; mais c’est justement ce sujet fondamental que parait ne pas pouvoir être rigoureusement traité dans l’éventail, ou échantillon, des conceptions citées.
Par ces propos, surement bien synthétiser et concentrer, on comprend que l’idéalisme platonicien, le dualisme et le scientificisme sont considérés des fléaux culturels et que la notion de ‘vérité’ ici reniée est celle qui s’associe à ces dogmes ; un manque d’intelligence sensible et d’apports sensoriels est justement et bien souligné.
Premier questionnement : est-ce-que, dans l’œuvre de Nietzsche, cette demande et nécessité de changement de plateforme conceptuelle a vraiment lieu ?
Il me parait claire que la critique inaugural demande une reformulation de la recherche sur d’autre coordonnées, à partir d’une nouvelle intelligibilité. D’un point de vue gnoséologique, on peut constater que l’intelligence rationnelle n’aboutit pas à une axiologie saine et qu’une carence d’intuition sensible intègre le noyau central de cette malheureuse causalité ; la recherche devrait donc se dérouler à partir des dons de la raison sensible et des valeurs que manent de l’étonnement esthétique.
Les valeurs, vraiment humain, ne se confondent pas avec ces impulsions grégaires et claniques que arrivent au gré de l’évolution ; ils ne surviennent pas par hasard ou par chance ; ils sont comme des wagons qui suivent des perspectives métaphasiques et des orientations identificatrices déjà tracées par intuition, formulée ou pas – s’ils sont bons ou mauvais dépendra de la vérité et du bon sens, comme adéquation philosophique, des coordonnés génératives.
Il n’y a pas de doutes que c’est la conscience de soi (auto conscience) qui permet la réalisation d’identifications éthiquement efficaces et productives par la régence des distinctions dénotées entre soi et ce qui est autre ; donc c’est la perspective métaphasique et ses vérités adjointes, normalement imposées et embouties comme croyances baptismales, qui, en première instance, conditionnent la formation des valeurs.
Il me parait claire qu’on n’arrive pas aisément et à temps d’éviter la maladie – pas plus au niveau de l’individu qu’au niveau sociale – cherchant une nouvelle et bonne étique, comme une bonne santé, en révisant son historicité d’un point de vue praxéologique sans rien savoir a priori d’hygiène et de diététique et sans avoir une bonne définition de santé.
Dans cette science humaine et sa réalisation ce n’est pas en fonction des résultats que l’on épouse des valeurs inaugurales ; c’est en fonction de ce que l’on est ou croit être que se dessine ses valeurs ; on agit en fonction d’un gout et d’un savoir de soi profondément ancré ; les résultats reportent a ses données qui ne changent que par la reformulation des impressions baptismales elle-même dépendantes des perspectives métaphasiques fondatrices de culture. Attitudes et comportements sont construits sur des valeurs qui dépendent de notions identitaires, comment se considère t’on en relation aux autres et à ce que est autre.
Le dualisme nous place plus haut ou plus bas, du bon côté ou du mauvais, gère des dieux et des démons, des consciences et des esprits séparées du monde, des théismes, théopolitiques et maniqueisimes. Le monisme cosmo-existentialiste nous intègre, égalise et universalise, unifie les ‘res’ en boucle paradoxale, montre que la conscience est du monde et que le monde est pour elle ; sacralise tout en un panthéisme que transforme la politique en « civitique », écroulent la pyramide en cercle dialogique et réinstallent l’humain, aujourd’hui perdu, dans son ethos réel.
Deuxième questionnement : Nietzche à t’il réussit à ressouder la rupture platonicienne ?
Je ne sais pas surement, mais votre texte me donne l’impression que non. Sans récupérer la perspective présocratique, donc sans alternatives ou choix métaphasiques, il semble errer, retournant sur ses pas, cherchant au long de ses propres empreints et de celles de l’histoire une direction perdu, tout en sachant que la direction ne se trouve pas, qu’elle est volontaire, livre et se détermine… mais comment, sans critères de vérités ?
Il parait confirmer tristement un nihilisme et dualisme rénitent en disant : « (…) Au détour de quelque coin de l’univers… il y eut un jour une planète sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l’« histoire universelle », mais ce ne fut cependant qu’une minute. Après quelques soupirs de la nature, la planète se congela et les animaux intelligents n’eurent plus qu’à mourir ».
Il semble saboter la guérison philosophique de l’humanité élèvent, comme une hostie sans pouvoir, l’hypothèse dualiste d’un monde sans conscience e d’une conscience sans monde. Il oublie qu’il est bien l’homme qui pense ces choses-là ; que ces idées, comme toute les autres, seront toujours humaines ; mais, cette idée-là, précisément pour faire fi radicale du penseur, ne possède aucune valeur de vérité, encore moins que l’idée de la mort pour Epicure : on voit des morts mais on ne ressent pas du tout l’éternité cosmique en y étant pas ; on peut que faire semblent, que se tromper.
Si bien que sans réalité et sans poids existentielle, nul, cette idée prétend exonérer absolument l’homme da la nature et détruire la grande et sublime vérité du moment (kairos), ne laissant sur son passage que quelques minutes d’existence découpés de la toile de l’interdépendance inexorable ou s’enracine et origine le cosmos a qui nous appartenons et qui nous appartient infiniment.
Bien-sûr, si tout ce qui existe enracine dans l’existence qui est absolue, ce qui existe, en ultime analyse, ne sert à rien et n’a aucune justification – il s’agit d’une pure gratuité qui se ressent comme une présence cosmique et ses échos évoquant du passé et du devenir.
En même temps résigner, humble, mais aussi grande et satisfaite, notre nature exubérante – que appartient à une prairie infinie et universelle – s’identifie avec son habitat ; une identité, un « ethos », d’où dérive une éthique et ses valeurs qui se célèbrent et fêtent dans l’appréciation du beau et du sublime ; c’est la surgescence d’une mandale unitaire et cosmique, la réunion d’un « symbolon » que comble l’humanité de transcendance et vertus. C’est en nous même que se réunit, pondère et mesure la totalité des signes et des valeurs – on ne se réalise et ne s’affirme qu’en conséquence d’une identité qui peut être irrationnelle et stupide, imposée ; ou logique, vrai et raisonnable – à nous de bien choisir.
Je vous remercie de votre possible attention et serait heureux dans savoir plus sur ces questions.
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