Philosophie

Paradoxe Français

Saint-Martin de Tours

Le Christianisme et la France. Loin est le temps où l’on nommait encore la France « la fille aînée de l’Eglise ». Elle n’a plus sa place lors des réunions de famille des pays encore chrétiens, la France a coupé les ponts. En bien ou en mal, pour le meilleur et pour le pire, là n’est pas la question de placer un jugement de valeur, moral ou non, sur ce passage à la laïcité au début du XXème siècle. Elle est désormais laïque, ce qui toutefois n’enlève en rien sa culture, son Histoire imbibée et gravée à tout jamais dans l’encre indélébile de la chrétienté. Même l’athée le plus intégriste qui se refuserait à reconnaître l’héritage civilisationnel chrétien, à la fois catholique et protestant, serait un idiot fini, un fourbe ignorant qui ne vaut pas mieux que l’obscurantisme religieux.

Saint Martin de Tours. Figure mythico-mythologique du christianisme, une universalité qui traverse tout un chacun, du pitoyable au cynique. Ce Saint croise sur son chemin un pauvre homme, sans véritable vêtement, refroidi, amaigri : de la lame de son épée, Saint Martin découpe une pièce de son manteau immense pour le donner au pauvre. Geste sacré ! Comment ne pas applaudir ce geste de bravoure, de pure générosité ? Il devient dès lors un modèle, un idéal vers lequel il faut tendre nécessairement, un pur acte de vertu. Un enseignement de la morale chrétienne, qui, même s’il peut y avoir raison de la critiquer, de le refuser, est inscrit dans l’inconscient collectif de la tradition humaniste, voire humanitaire.

« Aide ton prochain ». C’est le complexe français de se sentir systématiquement sous la contrainte d’universaliser au-delà de ses frontières une idole qu’elle a adopté, de gré ou de force. Colonisation culturelle. Colonisation idéologique. La France, cette fidèle pieuse de la chrétienté absolue doit devenir une « terre d’accueil », un lieu où à chaque personne, sans se soucier de ce qu’elle est, de ce qu’elle pense, française ou non, nous devons tout un chacun offrir une partie de notre « manteau ». Accueillir n’importe quel individu sous le seul prétexte de sa présence précaire ici-bas, due à sa pauvreté, les difficultés de son pays, de son peuple de provenance… Donne, sans attendre aucun retour, ni d’un Dieu, ni de l’Etat. Donner, accueillir sans compter. C’est la figure de l’hospitalité que le christianisme a bétonné dans l’imaginaire français. Paradoxalement, de nos jours, bon nombre de personnes répondent encore au nom du christianisme, se sentent encore concernés par la religion, leur religion. Certains de ces mêmes français qui se disent fièrement chrétiens, croyants et pratiquants, fins lecteurs et herméneutes des Textes, sont les mêmes qui affichent un « rejet » d’autrui, de l’Etranger. En totale contradiction avec la doxa chrétienne qui leur enseigne l’acceptation de l’autre, sans regarder, sans réfléchir, qui leur posent en modèle de bonté humaine les légendes historiques, à l’image du geste de Saint Martin de Tours, ils ne donneraient en rien leur hospitalité vertueuse – pourtant proférée lors des séances de catéchisme – qui est un des ciments de leur religion adorée. Ils scandent que la France est une terre chrétienne, qu’ils veulent la labourer à la force du Nouveau Testament contre l’autre religion qu’est la Laïcité. Intention louable si ces mêmes chrétiens français s’appliquaient à eux-mêmes leur culture tant chérie. A quoi bon prôner, à juste titre, une morale, si dans l’envers du décor, il y a un reniement de l’éthique qu’elle impose. Comme l’écrivit Soren Kierkegaard : « La chrétienté a aboli le christianisme sans trop le savoir. »

© Jonathan Daudey

11 réflexions sur “Paradoxe Français

  1. Intéressant, dans un premier temps on déduit de cet article la nécessité de prendre une certaine distance en séparant christianisme/religion et chrétien/humain ou idéal et imperfection. Dans un deuxième temps, on peut dire que le rejet d’autrui résulte de la peur de voir le christianisme disparaître dans ce cas les chrétiens devront plutôt se méfier de la laïcité au détriment de l’étranger…

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  2. La vieille France fut et reste la fille aînée d’une Église morte pour avoir voulu n’être qu’une idée. La France républicaine est née d’une idée, celle d’incarner Marianne, la fille aînée d’Israël. Et quand je dis Israël, je dis ce monde juif-là qui ne veut surtout pas de statut religieux, ce monde juif qui comme le nom l’indique veut bien plutôt être le plus fort envers et contre Dieu. Un Israël mort pour avoir refusé de n’être qu’une idée, pour s’être donné le slogan touristique blasphématoire que la langue française ne daigne traduire : « Israel is real».

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      • Je pense qu’il veut dire par là que aujourd’hui (par exemple avec l’interdiction en France de manifestations portant sur un sujet irritant ou dérangeant Israel témoigne d’une possible affiliation entre la France et Israel. De plus, il précise :  » la France républicaine « , le pouvoir aux bourgeois dont la légitimité tient à leurs portefeuilles et non plus à leur ascendance. Il est tentant, pour la populace grouillante qu’est le peuple de faire le raccourci juifs ==> bourgeois. Et comme notre démocratie n’a jamais été une vrai démocratie mais est plutot passé d’une aristocratie de sang à une aristocratie de pièces sonnantes et trébuchantes, il est courant que le peuple, mécontent traduisent son sentiment d’injustice et de rébellion par un antisémitisme voir pour les plus avisés un antisionisme qui n’est peut-être qu’une révolte contre le pouvoir en place ?

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      • Très bien je vais préciser ma pensée. Premièrement je ne suis pas français, francophile ou francophobe de même je ne suis pas israélien, israélophile ni israélophobe. De ce fait considérez moi comme un simple observateur belge de 14 ans. Permettez-moi tout d’abord de vous montrer en quoi mon commentaire est en rapport avec votre billet. Le thème récurrent de l’article est, si j’ai bien compris, la France, l’influence du catholicisme dans l’histoire, entre catholique ultra-conservateur et athée niais ne voyant en la religion qu’un fléau entravant l’avancée de la sacro-science.

        Ceci étant établi, permettez moi de vous mener pas à pas jusqu’à mon raisonnement ne justifiant rien d’injustifiable (bien que vous avez apparemment votre propre définition du mot injustifiable que je vous prie de partager.

        Jusqu’au 18eme siècle, la France était l’épée et le bouclier de l’église (historiquement, l’empire romain d’occident fut le premier bouclier de l’Eglise contre les envahisseurs turcs jusqu’au démantèlement de celui-ci où la France à astucieusement pris la relève avec comme figure de proue Clovis Ier ainsi que Charlemagne). La monarchie s’était établie, calquée sur le système de noblesse et de roi déjà bien ancré dans l’Antiquité et en Gaule.

        Cependant, après le moyen-âge, lors de la renaissance ainsi qu’a la période classique, un mécanisme s’est mis en marche, menant indéniablement à une révolution. Une nouvelle caste de bourgeois est apparue, riche et puissante. Or, aux temps des lumières, comme grâce à la science ils se faisaient de plus en plus riche ils ont décidé de se rebeller, pourquoi les pauvres de nobles lignées détiendraient-ils le pouvoir ? C’est contre-nature, rappelons qu’avant d’être des dynasties de rois décadents, les rois furent avant tout les meilleurs, les plus courageux combattant, les orateurs les plus éloquents, etc.

        Mais quand les rois cessèrent d’être les « meilleurs », que les bourgeois les surpassèrent en termes de richesses et d’autres attraits qui forment les chefs, alors la révolution française fut naturel. Le pouvoir est passé des nobles ou bourgeois sans jamais par le peuple (il n’en fut d’ailleurs jamais question pour Voltaire dont l’on retiendra principalement ce-ci (au sujet d’un état bien organisé) :
        « Un pays bien organisé est celui où le plus petit nombre fait travailler le plus grand nombre est nourri par lui, et le gouverne  » Qu’est-ce sinon une définition même de l’oligarchie, je vous le demande.

        Ne nous leurrons pas, pour Voltaire (à l’inverse de J.J Rousseau) il ne fut jamais question de remplacer le système monarchique par une démocratie mais simplement par un état plus libre, plus capitaliste. Or, l’Eglise et ses valeurs presque communiste fut un frein au capitalisme prôné par Voltaire. D’où le lien avec votre article (à propos de Voltaire, je tire citations et idées d’Henri Guillemin).

        De ce fait, ne nions pas l’existence du stéréotype, encore bien tenace du juif = bourge. Je ne justifie rien, j’explique, voilà tout.

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  3. Article très intéressant, étant moi-même croyante (mais non pratiquante) et fréquentant bien nombres de pratiquants (orthodoxes, catholiques, mormons..) leur ferveur à ne pas appliquer les principes de base du christianisme m’a toujours rebutée à devenir plus impliquée dans l’église. Votre article révèle très bien cela à l’échelle nationale.
    Pour les commentaires précédents, je dois admettre que j’ai beau chercher, je ne vois pas le rapport…
    Blog découvert grâce à Cyros North, une belle découverte, après quelques articles lus je pense devenir une lectrice régulière 🙂

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