Husserl et Descartes/Phénoménologie/Philosophie

Husserl et Descartes | La question de l’évidence

René Descartes

René Descartes

L’évidence cartésiano-husserlienne. La notion cartésienne de l’ego cogito est évidente et évidentissime. L’évidence est le critère ultime de vérité. A la différence de Descartes, Husserl veut redéfinir l’évidence non pas comme modalité subjective ou comme propriété du jugement, mais comme mode d’être de l’étant en tant qu’il vient à la connaissance pour ce qu’il est et sans reste. Ce n’est pas une propriété subjective du jugement mais un certain rapport à une chose, dans lequel la chose est donnée en « personne », en « chair-et-en-os » et telle qu’elle est originairement. L’évidence se définit par rapport à un étant [Seiende]. Toute science est une connaissance certaine et évidente comme le montre Descartes dans la Règle II, autrement dit une science sans faire mention de l’objet de la science. Si on comprend la définition de l’évidence d’Husserl, il fait faire à l’évidence une révolution anti-copernicienne ; désormais l’évidence n’est plus pensable autrement que comme un rapport à une chose (Sache) ou un étant.

En pensant que je ne dois laisser aucun jugement que je n’ai créé sur l’évidence sur lesquels les choses et les états de choses soient présents en tant que eux-mêmes, on obtient une conjugaison du motif de l’évidence cartésienne avec celle de la phénoménologie qui est le retour aux choses elles-mêmes [Sache selbst] ; ceci contre une métaphysique idéaliste à la Kant, qui a abandonné la chose, voire la chose en soi, au profit des phénomènes qui ne sont que des représentations. La phénoménologie veut revenir aux choses contre ceux qui se sont détournés des choses pour ne s’occuper que des représentations. L’évidence est l’acte dans lequel le jugement se rapporte aux choses mêmes ou à un étant, en tant que lui-même. Il y a un élargissement de l’évidence [Evidenz] telle que Descartes l’avait réduit de tout ce qui n’était pas et sorti de la sphère de la science. Husserl a conscience d’une difficulté massive de la définition de l’évidence, on ne peut la prendre comme quelque chose qui va de soi : il va de soi qu’il est problématique que dans une expérience les choses peuvent être données d’elles-mêmes.

Il pose alors la différence fondatrice entre « évidence adéquate » et « évidence apodictique ». L’une ne peut aller sans l’autre, l’évidence dite adéquate est une évidence dans laquelle apparaît l’adéquation comme « adequatio intelectuelus et rei ». Dans la notion d’adéquation, il y a quelque chose de géométrique, comme une convertibilité entre des choses dont on a le concept adéquat et la définition de la chose – la définition adéquate pouvant remplacer la définition. Descartes, dans les IVèmes réponses, défend la possibilité que toutes mes idées soient adéquates, or je ne peux pas le savoir, seulement le croire, puisqu’il est impossible de sortir du concept pour vérifier l’adéquation à la chose.

Baruch de Spinoza

Baruch de Spinoza

Husserl avec SpinozaHusserl reprend ce qui correspond à l’idée spinoziste de l’idée adéquate et l’appellera évidence apodictique, en maintenant qu’il y a une évidence adéquate c.à.d. une adéquation présumée ou présomptive mais qui n’exclut pas la possibilité du doute. L’évidence adéquate est toujours conditionnée alors que l’évidence apodictique est absolue et par sa définition même est extraite de toute possibilité de mise en doute. L’idée adéquate a, en effet, un rôle chez Spinoza. Cette idée d’adéquation est reprise et restaurée contre Descartes, car si les idées sont intrinsèquement adéquates, la vérité devrait être assurée par une instance supérieure de l’idée en tant qu’elle est dans l’entendement. De fait, le jugement n’affirme pas quelque chose de l’idée qui n’y serait pas : il y a dans l’essence même de l’idée une affirmation, une affirmation de l’idée comme vraie. L’idée adéquate est index sui, dans le sens où son adéquation est un caractère immanent à cette idée. Spinoza contourne ainsi la question assez banale de savoir comment puis je puis être absolument sûr que l’idée est identique aux choses. Ici, l’idée adéquate n’a besoin d’aucune vérité extérieure pour s’assurer de cette vérité, opérant à présent un dépassement de Descartes.

L’évidence apodictique ne peut être mise en doute pendant qu’elle est pensée ; en revanche l’évidence adéquate est typiquement mathématique. D’où l’idée de Descartes de dire qu’elle peut être remise en doute par l’argument du Dieu trompeur, dans la Première MéditationMétaphysique. En fait, cela correspond exactement à ce que Husserl appelle l’évidence adéquate. Cette possibilité du doute n’implique pas que les évidences mathématiques ne soient pas évidentes, mais que je sois nécessairement dans le vrai à chaque fois que j’affirme l’évidence entre la proposition et la vérité. Nous avons ici une idée plutôt cartésienne bien que son vocabulaire ne soit pas cartésien, à savoir que l’évidence est une règle de vérité.

Les Méditations Métaphysiques constituent un itinéraire qui passe par le doute, un itinerarium mentis, qui découvre l’existence de Dieu. Descartes lance un parcours métaphysique qui part à la chasse aux étants (Platon), qui se rencontre elle-même, puis Dieu. Les Méditations Métaphysiques accomplissent simultanément et de manière croisée une quête logique, qui est celle d’un critère de vérité: l’évidence ou la perceptio clara et distincta. La validité de ce critère est déduite assez tardivement. Ce critère est retenu de manière présomptive dans les Troisième et Quatrième Méditations Métaphysiques: le cogito est certain et indubitable par la perception claire et distincte. La déduction de ce critère est une déduction, que nous pourrions nommer métaphysique, en tant que c’est le Dieu souverainement parfait (qui est non trompeur) qui garantit la vérité. Ainsi, si je n’ai pas connaissance de cette existence de Dieu, ce critère est toujours alors falsifiable.

© Jonathan Daudey

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