Lorsqu’ils arrivent au port de La Pointe de la bien-aimée Sacha et sa troupe découvrent le type de pokémon spectre en faisant la rencontre de Fantominus, auraient-ils pu par la même occasion rencontrer la philosophie et tout spécifiquement la métaphysique de Descartes ?
Illusion : les sens trompeurs
En arrivant en ville, Sacha et ses compagnons de voyage apprennent la légende du village dans laquelle une jeune fille a attendu le retour de l’être aimé jusqu’à ce que son corps se change en pierre. Depuis cette transformation, l’esprit de la jeune fille est attaché à la statue que forme son corps et continue d’attendre. Fantominus, pokémon spectre pouvant modifier son apparence, s’appuie sur ce folklore pour prendre la forme de la jeune fille et apparaître aux yeux de Pierre. Il est d’abord le seul à voir Fantominus sous cette forme et ne découvre la légende qu’après cette apparition. Ce qu’il croyait être une jeune fille sur la berge est en fait un fantôme, une hallucination.

Démonstration des talents de transformation de Fantominus.
Pierre pleure une fois de plus une soi-disante occasion ratée de trouver l’amour. Bien que ses yeux sont persuadés d’avoir vu la jeune fille, son esprit sait que cela n’est pas possible puisqu’elle est morte depuis longtemps. Il est en train de faire l’expérience douloureuse de la tromperie des sens. Ces défauts que peuvent avoir les sens sont évidemment expérimentables dans beaucoup d’autres conditions, comme celle de l’illusion d’optique. La façon dont on réagira face à la défaillance de nos sens dépendra de la différence que l’on arrivera à faire entre la chose réelle et la chose perçu. Dans le cas de l’illusion d’optique, il s’agit plutôt d’un jeu qui expérimente l’interaction oeil-cerveau. L’expérience est plaisante car l’on arrive très facilement à distinguer ce qui constitue l’image et ce que le cerveau y ajoute, à tort. Pierre, quant à lui, reste convaincu de ce qu’il a vu, au point de tomber amoureux de la simple image de la jeune fille. Son caractère romantique fait qu’il croit ses sens au détriment de son esprit. Il adopte alors la position inverse de Descartes face au problème des sens trompeurs.

Pierre, très sûr de ses sens, attend désespérément une apparition de la jeune fille…
La tromperie des sens la plus importante est sans aucun doute le rêve où tout n’est qu’illusion mais semble complètement réel et seul le réveil permet de se rendre compte de la duperie. Descartes part justement de cette tromperie du rêve pour fonder son doute. À partir du moment où il y a illusion, deux positions sont envisageables : celle de Pierre qui sait qu’il a été trompé et revient à la normale, ou celle de Descartes qui sachant qu’il a été trompé une fois se demande pourquoi il ne serait pas trompé absolument tout le temps. Le doute que Descartes met en place dans ses Méditations métaphysiques est un doute complet, il révoque toutes ses connaissances. Comme si tout n’était que rêve, que même après le réveil on ne pouvait être sûr que ce qu’on voit et ressent est bien la vérité. L’entreprise cartésienne de la révocation en doute de toutes ses connaissances est colossale. À tel point que ce doute est difficilement concevable. D’autant plus que celui qui ne croit pas la réalité est un fou. Descartes cherchera donc d’abord à se prémunir de l’accusation selon laquelle il serait fou par un passage longuement commenté par Foucault « comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps sont à moi ? Si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés […] Mais quoi ? Ce sont des fous »¹. Pour mettre en doute ses connaissances sans en passer par la folie, Descartes imagine l’intervention d’une entité tierce, le malin génie.
La philosophie de Descartes, du fait de l’époque à laquelle elle se développe, se fonde en partie sur le christianisme. La révocation en doute et la tromperie des sens l’amèneront à imaginer le personnage du malin-génie à mi-chemin entre l’antéchrist et un prestidigitateur. Le malin génie est une inversion de Dieu, c’est une entité qui possède les mêmes pouvoirs mais dont le but est de tromper les humains. « Je supposerai donc qu’il y a, non pas un vrai Dieu qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, qui a employé toute son industrie à me tromper. » À partir de ce moment, Descartes ne peut plus chercher la vérité qu’en lui-même. Toute tentative de trouver les réponses à sa révocation en doute hors de lui peuvent êtres faussées par le malin génie. De là découlera sa célèbre conclusion selon laquelle la seule chose dont il peut être sûr est « Je suis, j’existe […] je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense »². Il est en tout cas clairement possible d’associer la figure de fantominus à celle du malin génie. Fantominus est la réalisation de tout ce que Descartes imagine dans le malin génie. Il possède toutes les facultés de tromperie et n’a de cesse de les utiliser. En effet, même le caractère de Fantominus l’apparente au malin génie. L’épisode de la Tour hantée montre à quel point Fantominus est joueur et utilise ses dons de métamorphose pour s’amuser des humains en leur faisant des farces effrayantes. Le pokédex nous indique d’ailleurs que c’est un pokémon de type hypnose, ce qui est la preuve qu’il agit directement sur la psyché des humains et qu’il peut réduire la frontière entre rêve et réalité. Pierre est donc véritablement confronté au malin génie que développe Descartes, mais il n’atteindra jamais la révocation en doute puisqu’il préfère croire ses sens. Si Pierre avait été plus philosophe, cette rencontre aurait pu le mener sur le chemin de la connaissance jusqu’à un point insoupçonné.

Son air ne trompe pas, il est bien le malin génie qui veut nous tromper.
Fantominus : Une apparition divine
Le malin génie rend impossible toute connaissance autre que « je suis, j’existe ». L’entreprise entière de recherche de vérité que Descartes entreprend est alors rendue fortuite. Descartes devra donc, s’il veut pouvoir accéder à quelque vérité que ce soit, se détourner des objets d’études simples pour s’attaquer directement à la recherche de l’existence de Dieu. L’existence de Dieu est ici le seul argument permettant de pallier les problèmes que posent le malin génie. La troisième méditation a dès lors pour seul but de prouver l’existence de Dieu. Pour ceci, Descartes commence par complètement séparer les objets des idées. Il prend l’exemple du soleil qui est connu à la fois en tant qu’objet physique et qu’idée. Or, l’expérience sensorielle qu’on a du soleil n’est absolument pas conforme à ce qu’il est réellement. Nos sens, même sans être trompés, peuvent parfois simplement ne pas suffire à connaitre précisément les choses. Il y a donc, comme chez Platon, une différenciation claire entre l’idée que nous avons d’une chose et la chose même qui n’est jamais qu’une manifestation indépendante. C’est justement parce que les objets sont des manifestations indépendantes, hors de nous, qu’ils peuvent être expérimentés par nos sens et ils ne sont donc pas crées par notre imagination. Dans le cas de Pierre, il n’y a pas de différence faite entre la chose et son idée. Si Pierre a vu la jeune fille, c’est par une tromperie de ses sens, pourtant il en tombe éperdument amoureux. Il s’attache en fait à l’idée de la jeune fille et croit pouvoir la faire revenir à force de patience et de bons sentiments. Ce qu’il cherche à faire est exactement ce que Descartes décrit comme impossible : l’extériorisation d’une idée jusqu’au point où elle serait palpable.

Fantominus peut par contre, lui, créer des objets sensibles grâce à sa pensée !
Descartes en est donc au point où, il sait qu’il existe en tant qu’entité pensante mais qu’en tant que tel il n’est pas responsable de toutes ses expériences sensorielles et peut avoir été trompé durant toute sa vie. Or c’est bel et bien par les expériences sensorielles que nous pouvons connaitre les objets extérieurs. Il va donc vérifier s’il peut juger de la vérité d’une idée hors de toute connaissance sensorielle. La seule idée ne venant d’aucune expérience étant forcément celle de Dieu. L’idée de Dieu, hors de toute considération religieuse, est la plus abstraite de toute. C’est en fait purement l’idée d’infini. Bien sûr, celle-ci n’est en aucun cas expérimentable. Ceci pose un problème fondamental pour Descartes, « il est de la nature de l’infini, que ma nature, qui est finie et bornée, ne le puisse comprendre »³. Si nos idées se forment suite à l’expérience sensorielle d’un objet fini, comment peut naître en nous l’idée d’infini ? Pour Descartes, la seule raison serait que ce soit Dieu lui-même qui ait mis cette idée en nous. Il n’est alors pas un malin génie comme cela se pressentait au début de la recherche. Car si son but était de nous tromper, il avait pas besoin de mettre en nous des idées telles que l’infini qui nous amènent à douter des choses sensibles ; bien au contraire. De façon à priori étonnante, la preuve de l’existence de Dieu par Descartes se conclut de la sorte : « il ne serait pas possible que ma nature fût telle […] que j’eusse en moi l’idée d’un Dieu, si Dieu n’existait pas réellement »⁴. Si l’idée ne forme pas l’objet physique, elle est, à l’inverse, la preuve même de l’existence d’un être abstrait.

Des spectres qui font nettement plus peur que celui de la jeune fille.
Ainsi, l’apparition de Fantominus bien qu’elle paraisse anodine, peut être le point de départ du doute métaphysique. Si Sacha et Pierre n’étaient pas exclusivement guidés par leurs appétits de conquêtes, ils auraient pu être amenés au même questionnement que celui de Descartes. Pour faire au plus court, l’apparition de Fantominus est la preuve de l’existence de Dieu !
Mais aussi de l’existence des spectres, donc de l’âme en tant qu’entité indépendante du corps.
© Grégoire von Muckensturm
Sources :
Pokémon saison 1 épisode 19 : Le Fantôme de la jeune fille
Pokémon saison 1 épisode 22 : La Tour de la terreur
¹ Descartes René, Méditations métaphysiques. Première méditation (p. 67)
² Descartes René, Méditations métaphysiques. Seconde méditation (p. 76)
³Descartes René, Méditations métaphysiques. Troisième méditation (p. 93)
⁴Descartes René, Méditations métaphysiques. Troisième méditation (p. 97)
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