
Martin Heidegger
Heidegger a consacré une part importante de son travail à un domaine singulier, la métaphysique. Dans son œuvre majeure Sein und Zeit, Heidegger formule l’interrogation métaphysique par excellence : la question de l’être. Mais qu’appelons-nous « métaphysique » ? Si nous sommes tentés de donner une définition à ce terme si particulier, nous allons voir qu’il n’en est pas question pour Heidegger. Pour cela nous allons nous intéresser à l’œuvre qui suit Sein und Zeit, un texte issu d’une conférence prononcée en 1929 : « Qu’est-ce que la métaphysique ? ».
Cette leçon inaugurale présentée devant les étudiants, les professeurs et les chercheurs de l’Université de Fribourg ne présente non pas un discours « sur » la métaphysique mais traite d’une question métaphysique. C’est là tout l’objet du travail de Heidegger que de se livrer à une interrogation métaphysique car il n’est pas possible de parler d’elle autrement. Si cette conférence présentée devant la communauté scientifique de l’université de Fribourg a pour objet la métaphysique, ce n’est pas un hasard. En effet, tout l’intérêt de cette leçon inaugurale et de comprendre ce qui rend singulière la métaphysique et ce qui la distingue des autres disciplines scientifiques. Heidegger présente ici le caractère universel de la métaphysique qui la distingue des sciences dites « particulières » qui, elles, s’occupent d’un objet particulier.
Ainsi, empruntons le chemin de la pensée de Heidegger lors de cette conférence. Pour ce faire, reprenons d’abord l’articulation de sa réflexion. Comme nous l’avons annoncé, il n’est pas question pour Heidegger de tenir un discours sur la métaphysique. La conférence débute alors par un développement qui consiste à amener la formulation explicite de la question métaphysique choisie. Il élabore ensuite la question qui guidera le développement de l’interrogation métaphysique. Enfin, il livre la réponse à cette interrogation. C’est en empruntant les chemins de Heidegger que nous allons nous employer à comprendre la portée du questionnement métaphysique.
Si Heidegger laisse le soin à la métaphysique de se révéler elle-même, c’est au moyen de dispositions particulières qu’il va pouvoir élaborer son interrogation. Ainsi, il fait de l’angoisse un thème central dans le questionnement métaphysique qu’il déploie. C’est à partir de cette tonalité de l’être[1] (Stimmung) que s’appuie le DASEIN, littéralement « là-être » mais traduit en français le plus souvent par « être là »[2]. La question de l’être et plus particulièrement de l’étant constitue la clé de voûte de la philosophie de Heidegger. Pour éclairer cette question fondamentale de l’étant, Heidegger va étonnamment choisir de formuler la question du néant. Mais comment pouvons-nous nous interroger sur quelque chose qui est censé ne pas être ?
Cette question « Qu’en est-il du néant ? », formulée à la fin de la première partie, est le fil conducteur de la conférence. C’est à partir de cette interrogation que Heidegger va expliquer pourquoi il n’est pas possible de tenir un discours « sur » la métaphysique et dans quelle mesure celui qui questionne est compris dans la question et est lui-même questionné par elle. Ainsi, au début de la conférence, Heidegger déploie sa question jusqu’à sa formulation explicite, puis il explique comment cette question est élaborée et ce qu’elle nous révèle. Ce chemin de pensée nous conduira à examiner avec lui la réponse à cette question.
L’entendement en vacances

« Was ist Metaphysik ? », Martin Heidegger
Qu’est-ce que la métaphysique ? Le titre de cette conférence semble appeler à une définition de ce qu’est la métaphysique mais dans cette première partie nous verrons qu’il n’en est pas question pour Heidegger. En effet, dès les premières lignes il nous invite à renoncer à l’idée de chercher à tenir un discours sur la métaphysique. S’il renonce à cela, c’est parce que la question « qu’est ce que la métaphysique » appelle à définir seulement la métaphysique et non l’étant lui-même. Toute l’entreprise de Heidegger consiste à définir ce qu’est l’étant. Ainsi, il renonce à traiter la question comme telle. L’enjeu, ici, est plutôt de comprendre dans quelle mesure la question « qu’est-ce que » implique celui qui questionne. L’initiative de Heidegger est de laisser la métaphysique se présenter elle-même. Pour ce faire, il choisit de développer une interrogation métaphysique. La question et plus encore le questionnement est pour Heidegger la démarche essentielle de toute recherche. Pour lui, il y a trois niveaux contenus dans le questionnement : ce qui est questionné, ce que l’on interroge et ce qui est demandé. Ainsi, il faut déjà connaître le sens de la question pour poser la question du sens. Voilà pourquoi Heidegger renonce à répondre à la question « Qu’est-ce que la métaphysique » le « qu’est-ce que » qui est censé être une interrogation qui porte sur la nature d’une chose, aussitôt appliqué à la métaphysique, devient une absurdité car il repose sur une circularité. En effet, on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci. Alors l’enjeu, ici, c’est de comprendre le sens de la question, ce qu’elle questionne véritablement. Heidegger nous relève le double caractère de l’interrogation métaphysique au début de la conférence. En effet, chaque question métaphysique en ce sens qu’elle comprend tout l’ensemble de la problématique, comprend également le questionnant dans la question et le questionnement. Comme le dit Heidegger « elle est l’ensemble lui-même ». Ainsi, dit-il à la communauté de l’université de Fribourg « C’est nous qui interrogeons, ici et maintenant, pour nous. ». Heidegger, ici, s’adresse à la communauté de chercheurs, de professeurs et d’étudiants pour qui, dit-il, le Dasein est déterminé par la connaissance.
Pourquoi Heidegger s’adresse-t-il à des scientifiques et non pas seulement à des philosophes ? Pour le comprendre, tachons d’éclairer le concept de Dasein. En français nous traduisons couramment ce mot par « être là », « sein » étant le verbe allemand « être » à l’infinitif. Nous sommes tentés de penser qu’il s’agit seulement de la manifestation de l’être mais pour Heidegger il est question de l’étant lui-même. Ainsi, pour lui, le Dasein c’est la réalité humaine qui se réalise dans l’existence scientifique et cet étant que nous sommes a la possibilité de questionner. Toutefois, ce n’est pas le verbe « être » sur lequel nous allons nous concentrer mais ce « là ». Heidegger, ici, distingue l’être de l’étant. Si nous étions tentés de définir l’être par « être humain », nous allons nous rendre compte que ce n’est pas seulement ce qui est entendu car, pour Heidegger, l’être humain est un étant au milieu de l’étant. Ainsi, toute la tache de la métaphysique est de faire apparaître cet étant caché.
À ce moment de la conférence, Heidegger questionne ce qui fait que la connaissance est notre passion. Pour lui, les sciences nous mettent en rapport avec l’étant lui-même, c’est un mouvement d’approche vers l’essentiel de toutes choses. Ce mouvement est important car la question du sens de l’être est avant tout un mouvement vers le « là » de l’être. Ainsi, pour Heidegger, ce rapport avec le monde qui tend vers l’étant lui-même, a comme support une attitude. C’est la science et particulièrement la recherche qui est le propre de cette attitude qui nous met en rapport avec l’étant. On distingue trois temps dans la manifestation du Dasein : la relation au monde qui est relative à l’étant lui-même et rien d’autre, l’attitude qui reçoit sa conduite directive par l’étant lui-même et rien de plus et l’irruption qui « s’historialise »[3], c’est l’étant lui-même et rien au-delà. C’est dans la recherche que l’étant appelé « homme » fait irruption. La recherche doit pénétrer ce qui est et seulement ce qui est et rien d’autre. C’est à ce moment de la conférence que Heidegger interpelle son auditoire sur ce rien dont la science ne s’occupe pas. Il révèle ainsi l’ambiguïté de la science qui s’appuie sur le néant pour exprimer ce qui est. Surgit enfin la question directrice de cette conférence : Qu’en est-il du néant ?
Tachons maintenant de comprendre l’élaboration de la question choisie par Heidegger pour guider notre interrogation métaphysique et ce que la question du néant nous révèle. La première définition que donne Heidegger du néant est celle du sens commun ou plutôt celle que la science lui donne : ce qu’il n’y a pas. Alors, il tente de formuler une première question « Qu’est ce que le néant » mais nous voyons rapidement que le « qu’est-ce que » de la question suppose que le néant est une chose sur laquelle nous pouvons nous interroger, or comment s’interroger sur quelque chose qui n’est pas ? « La question se dépouille elle-même de son propre sujet » dit Heidegger. En effet, nous ne pouvons logiquement pas dire que le néant et ceci ou cela. La question apparaît dans un premier moment comme impossible puisqu’elle repose sur un contresens.
Si la science ne veut rien savoir du néant, c’est précisément parce que le penser n’est à première vue pas du ressort de la logique. La pensée est toujours pensée de quelque chose. Ainsi, comment pouvons-nous penser quelque chose qui n’est pas censé être ? Voici le premier obstacle soulevé par Heidegger dans l’interrogation métaphysique. Il n’est pas possible de faire du néant un objet. Cette impossibilité nait du fait de la logique et de l’entendement. C’est à ce moment de la conférence que Heidegger soumet l’idée d’un détachement nécessaire de la « souveraineté de la logique ». En effet, nous pouvons poser le problème du néant uniquement comme un problème qui se détruit lui-même si nous nous bornons à notre entendement. Alors pour sortir de cette impossibilité à formuler cette interrogation, il propose de « mettre l’entendement en vacances ». Pourtant, la négation reste une opération de l’entendement.
Pour Heidegger, la logique n’est qu’une interprétation de l’essence de la pensée dans la mesure où il suppose que nous pouvons poser la question du néant alors même qu’il ne paraît pas possible de le faire. Tachons alors de comprendre ce que Heidegger appelle « néant ». Le néant ne peut être posé comme un concept puisqu’il semble être une contradiction. Ainsi, penser le néant comme le produit de la négation est contradictoire puisqu’ici le néant est pensé comme ce qui « est » ce qui n’est pas. Aussi, nous ne pouvons réduire cette interrogation à la simple distinction entre l’étant et le non étant comme le veut notre entendement.

Martin Buber et Martin Heidegger, en 1957
Cache-cache avec le néant
Heidegger prend le contre pied de la tradition métaphysique antique pour qui le néant est un concept qui se pense comme l’absence d’étant.[4] Ici, le néant n’est pas seulement une négation, il fait partie de l’étant. Pour Heidegger, le néant est caché. Ainsi, la circularité à laquelle renvoie la question du néant se présente comme un obstacle à la possibilité de poser le problème. Étrangement, Heidegger propose de ne pas se décourager et de poser la question. Pour cela, il va falloir rencontrer le néant. Mais pour trouver une chose ne faut-il pas avoir connaissance que cette chose existe ? Ici, Heidegger souligne le vide qui s’est créé depuis les Grecs à propos de la question du non être. Il déplace alors l’interrogation sur le questionneur, précisément le Dasein de l’homme. « Y a t-il finalement une recherche sans cette anticipation, une recherche qui comporterait une découverte pure ? ». Il résulte de cette interrogation l’idée qu’il existe un être occulté par l’être qui questionne. Ainsi, nous devons présupposer l’être et pas seulement l’être qui questionne. De ce fait, la raison peut rendre raison de tout sauf d’elle-même car si elle devait rendre raison d’elle-même, il faudrait indéfiniment une nouvelle « raison première ». Alors, nous tournons infiniment en rond lorsque nous cherchons le fondement des choses. Pour Heidegger, c’est là qu’intervient le néant, il est ce vide qui explique le surgissement de la raison. Ici, le parallèle avec les sciences se fait dans la mesure où la science ne s’intéresse pas au fondement, elle laisse cela aux philosophes ou aux théologiens. Si le fondement nous permet d’accéder à la raison, c’est par la raison qu’on accède au fondement donc il nous faut dépasser la raison dite « rationnelle ».
Il postule dans un premier temps que nous connaissons le néant mais seulement dans le sens commun, dans l’emploi commun que nous en faisons dans nos « bavardages » quotidiens. Le bavardage (Das Gerede)[5], ici, n’est pas péjoratif, il s’agit de comprendre que nous employons tous les jours des mots sans en saisir pleinement le sens ou la portée. Ainsi, la définition que nous sommes tentés de donner au néant serait celle de Heidegger : « Le néant est la négation radicale de la totalité de l’étant », pourtant cette première définition nous renvoie encore à la conception d’un « néant étant ». C’est à ce moment de la conférence que Heidegger nous propose d’utiliser ce problème comme le moyen qui va permettre de révéler le sens du questionnement métaphysique.
En effet, il propose de faire l’expérience fondamentale du néant. À quel moment le néant nous apparaît-il ? C’est dans ce que Heidegger appelle « l’ennui véritable »[6], ou encore la joie, que nous sommes à même de saisir l’étant dans son ensemble. Ainsi, il fait d’une disposition particulière au monde, le moment où notre Dasein se révèle. Ici, il parle de « tonalité affective » car en allemand le mot « Stimmung » ne désigne pas seulement un état d’âme qui se projette sur le monde mais bien ce « là » qui caractérise le Dasein. Ce « là » qui est, qui nous révèle au milieu de l’étant. Pour illustrer cette mise en présence du néant lui-même dans le Dasein de l’homme, Heidegger détermine une tonalité fondamentale : l’angoisse. Cette angoisse qui n’a rien à voir avec le caractère craintif d’une personne, se distingue par l’absence d’objet de crainte.
En effet, lorsque nous sommes angoissés nous ne pouvons déterminer la chose qui nous angoisse. Cette indétermination est le propre de l’angoisse. L’angoisse est angoisse devant et pour mais non pour ceci ou cela. Ainsi, dans l’angoisse il ne nous reste rien à quoi se tenir à la différence de la crainte. Précisément, il ne nous reste que ce « rien » et si ce rien n’existe pas comme réalité, il existe bel et bien au sens temporel.
Heidegger nous dit que l’angoisse révèle le néant car c’est dans l’angoisse que nous nous sentons au milieu de l’étant et c’est dans cette tonalité fondamentale que nous rencontrons « l’historial du dasein », le moment où « le néant nous est révélé, et à partir duquel nous devons pouvoir interroger sur lui ». La question « Qu’en est-il du néant ? » peut enfin être posée.
Une étrange question

« Sein und Zeit », Martin Heidegger
Nous arrivons ainsi au troisième temps de cette conférence de 1929. Examinons la réponse que Heidegger fournit à la question « Qu’en est-il du néant ». À ce moment de la conférence, nous avons abouti à une définition du néant qui nous permet de le penser comme problème. Ainsi, le néant manifeste l’étant comme tel, comme ce qui n’est pas rien. Il nous est donné non pas à coté de l’étant ni même comme sa négation mais il se présente « d’un seul et même coup » ne faisant qu’un avec l’étant. Heidegger distingue le néant entendu comme « nichts » et le néantir « nichten », le néantir qui lui produit le « ne pas » nicht puis le « ne pas » qui entraine la négation « verneinung ». La négation ne peut nier que si du niable lui est donné et le « ne pas » ne peut opérer que s’il y a néantir et néant. Pour Heidegger, néantir n’est pas « anéantir » c’est au contraire dévoiler l’étant. Il présente alors le Dasein comme étranger à l’étant. À ce moment de la conférence, il s’agit de comprendre pourquoi l’angoisse qui révèle le néant, et ainsi le Dasein à soi-même, est la disposition permettant ce dévoilement. La réponse nous révèle que le néant nous est caché par l’étant auquel nous nous consacrons. En effet, plus nous nous tournons vers l’étant, plus nous nous détournons du néant. Alors, il nous faut trouver une explication qui résoudrait le problème du rapport du Dasein devant l’étant. Pour Heidegger, le Dasein c’est ce qui « se retrouver retenu à l’intérieur du néant ». Ainsi, chaque Dasein émerge hors de l’étant dans son ensemble. Cette émergence hors de l’étant, il l’appelle transcendance. Ce dépassement de l’étant constitue un mouvement au-delà de la totalité de l’étant mais est-il dirigé vers un autre étant ?
À première vue, la réponse nous conduit toujours au néant car ce qui n’est pas un étant est un néant. Mais ce néant comme nous l’avons vu n’est pas un simple « rien ». Ainsi, il inclut l’être même de celui qu’il transcende. Notre interrogation sur le néant doit nous présenter la métaphysique elle-même. En effet, la métaphysique est précisément l’interrogation qui dépasse l’étant comme tel, l’étant sur lequel elle questionne. Aussi, l’interrogation portée sur le néant se révèle être une interrogation métaphysique dans la mesure où chaque question métaphysique couvre l’ensemble de la métaphysique. Celui qui questionne est compris et pris dans l’interrogation. Mais pourquoi l’interrogation sur le néant ? Sur le néant, la métaphysique depuis l’antiquité s’exprime en une thèse : ex nihilo nihil fit, « du rien, rien ne se fait ». Cette thèse porte une attention au néant qui indique quelle conception de l’étant la fonde et la dirige. À ce moment de la conférence, Heidegger examine les différentes thèses métaphysiques sur le néant comme non-étant. L’antiquité le conçoit comme matière sans forme, la philosophie chrétienne médiévale comme l’absence d’un étant en dehors de l’horizon divin. Ainsi, le néant se pose comme négation de l’étant mais : « si dieu crée du néant, il faut précisément qu’il puisse soutenir un rapport avec le néant. », le néant constitue la première interrogation sur l’être de l’étant, il se dévoile comme un composant de l’être de cet étant. Il poursuit avec la thèse de Hegel qui, elle, permet de formuler le problème car elle pose l’être et le néant comme identiques. Ainsi, c’est le néant qui donne le fondement rendant possible la métaphysique et en cela même la science. Seul le néant peut nous dévoiler « l’étrangeté de l’étant » et ainsi nous conduire à l’étonnement. Ce néant revêt alors une autre signification, la thèse ancienne « ex nihilo nihil fit » prend alors le sens du problème de l’être lui-même. Le Dasein ne peut soutenir de rapport avec l’étant que s’il se maintient à l’intérieur du néant. Pour Heidegger, la métaphysique compose alors la nature de l’homme, elle est le fondement du Dasein, cet être-là qui « s’historialise ».
À ce stade de notre interrogation sur le néant, il nous apparaît que la question fondamentale de la métaphysique est : Pourquoi y a t-il de l’étant plutôt que rien ? Nous l’avons vu, seul le néant peut dévoiler ce que Heidegger appelle « l’étrangeté de l’étant » et ainsi nous conduire à l’étonnement. L’étonnement qui est le propre du chercheur, de l’homme philosophe, qui se pose la question « pourquoi ». Le néant « gouverne le destin du chercheur » et nous avons vu que c’est l’angoisse, cette disposition de notre Dasein, qui nous révèle cela. Il faut donc se laisser tomber dans le néant et aller vers l’étant pour se poser la question fondamentale de la métaphysique. Ce mouvement de va et vient entre l’étant et l’être qui est le pivot de l’existence.
En faisant de la métaphysique son objet, en s’interrogeant notamment sur ce qu’elle a été et sur son commencement, Heidegger s’oppose à la prétention de la métaphysique à penser l’être. En effet, nous avons vu qu’il n’était pas possible de tenir un discours « sur » la métaphysique ni même de la présenter de l’intérieur. La métaphysique n’a d’autre mode d’existence qu’elle-même. Ainsi, au travers de l’interrogation sur le néant, nous lui avons laissé le soin de se présenter elle-même. Dans la mesure où nous étions nous même pris dans l’interrogation, nous qui questionnions.
© Bahia Megdoud
Notes :
[1] Ici, le mot allemand Stimmung est traduit par « tonalité ». Il est nécessaire de sortir d’une interprétation trop psychologique du concept de l’angoisse. Cette tonalité manifeste le « là » de l’existence, il n’est pas question d’un état d’âme.
[2] Le concept clé de la philosophie de Heidegger est sujet à des erreurs d’interprétations, ici il ne désigne pas l’existence au sens « existentia » qui nomme ce que sont les choses (quid). Cf une lettre adressée à Jean Beaufret en 1945. Heidegger distingue le Dasein qui n’est pas un étant parmi d’autres mais le seul étant à exister au sens propre du terme.
[3] Le texte de la conférence traduit par Henry Corbin nous présente le mot « geschehen » qui veut dire : avoir lieu. Ici, Henry Corbin récupère un mot du vieux français « historial » pour définir ce que Heidegger nomme la réalité-humaine (Dasein).
[4] cf Le Sophiste de Platon par exemple. La dialectique du sophiste reste focalisée sur l’étant. Pour Heidegger, il n’est pas question de voir le néant comme un concept antithétique à l’étant.
[5] Le concept est étudié dans le paragraphe 35 d’Être et Temps. « Le bavardage est la possibilité de tout comprendre sans appropriation préalable de la chose-en-question », pour Heidegger.
[6] Autre tonalité fondamentale pour Heidegger, l’ennui qui s’exprime par une formule particulière en allemand « die Langeweile » littéralement : le temps long. C’est dans cet état qui survient plus fréquemment que l’angoisse qu’il nous est possible de prendre la mesure du vide de notre existence.
Bibliographie
ARJAKOVSKY, Philippe et al., Le dictionnaire Martin Heidegger, Paris, Cerf, 2014.
GADAMER, Hans-Georg, Les chemins de Heidegger, Traduction par Jean Grondin, Paris, Vrin, 2002, 288 pages.
HEIDEGGER, Martin, Qu’est ce que la métaphysique ?, Traduction par Henry Corbin, Paris, Gallimard, coll Les Essais no7, 1938, 256 pages.
HEIDEGGER, Martin, Questions I et II, Paris, Gallimard, coll. Tel no156, 1990, 602 pages.
HEIDEGGER, Martin, Essais et Conférences, Traduction par André Préau, Paris, Gallimard, coll. Tel no52, 1980, 378 pages.
HEIDDEGER, Martin, Être et Temps, Traduction par Emmanuel Martineau, Édition numérique hors commerce, 1985, 356 pages.