L'analogie chez Condillac/Philosophie

L’analogie chez Condillac | Principe de la formation du langage

Condillac (gravure)

En tant que penseur de la connaissance, Condillac s’est forcément intéressé aux questions relatives au langage. Le langage étant un pré-requis à la transmission de savoir, il influe en partie sur la façon qu’on a d’apprendre et d’appréhender les choses. La connaissance se forme au sein d’un langage particulier, c’est pourquoi les particularités de ce langage se retrouvent dans la culture du peuple qui l’utilise. Certains langages étant par exemple plus à même de conceptualiser des notions là où d’autres ont plus d’affinités avec l’écriture littéraire et poétique. Les thèses sur lesquelles Condillac pose sa conception du langage sont plutôt particulières puisqu’il fait une étude exclusivement scientifique du langage. Comme l’indique le titre de son œuvre, La Langue des calculs, Condillac commence par poser une identité entre les sciences, notamment les mathématiques, et le langage commun. Il est vrai que les sciences ont un langage particulier propre à leur domaine. En fait, chaque science se constitue le langage dont elle a besoin. Ce processus de création étant différent dans le langage commun qui se constitue plus empiriquement. La différence entre le langage commun et scientifique est que le langage scientifique doit être le moins ambigu possible pour ne pas entraver le raisonnement. Seulement, pour Condillac, la particularité du langage commun d’être, en apparence, plus libre ne lui est pas forcément bénéfique. Sa volonté, visible dans La Langue des calculs, est d’appliquer le fonctionnement du langage scientifique au langage commun. Puisque les mathématiques sont une langue bien faite, il faudrait que les autres langages, quels qu’ils soient, se fondent sur le modèle mathématique. Or, le fondement du langage mathématique est l’analogie. C’est par l’analogie que l’intégralité du langage mathématique se déploie. S’il faut rapprocher le langage commun du langage mathématique, c’est par l’analogie que cela peut se faire. L’analogie est le point central du langage mathématiques, le projet de Condillac de faire se rencontrer les deux langages dépend donc en grande partie de cette notion. C’est pourquoi il convient d’étudier s’il est possible d’adapter l’analogie telle qu’elle apparait dans le langage mathématique au langage commun. L’analogie peut se décomposer en trois moments chez Condillac, l’analogie dans la création du langage, sa différence avec la frivolité et sa capacité à amener à de nouvelles connaissances.

L’intérêt de l’analogie dans le langage commun

La Langue des calculs s’ouvre sur un programme précis des objectifs de Condillac et des thèses qu’il admet pour y parvenir. Le premier postulat de Condillac est qu’une langue est avant tout analytique, « Toute langue est une méthode analytique, et toute méthode analytique est une langue. » ; à partir de ce moment, le rapprochement entre le langage commun et scientifique devient aisé, voire évident. Il apparait immédiatement que Condillac ne considère le langage que sous sa forme analytique qui n’est pourtant pas la plus évidente. S’il réduit toutes les langues à une méthode analytique c’est par souci de vérité et de précision. Puisque la méthode analytique est ce qui amène avec le plus de sureté à la vérité, il faut adopter cette méthode dans le langage si l’on veut pouvoir l’utiliser comme outil de raisonnement. Il y a en effet des domaines où la connaissance peut se trouver exclusivement au sein du langage. C’est par exemple le cas de la philosophie ou de la philologie. Si ces domaines, qui doivent nécessairement évoluer dans le langage, veulent pouvoir raisonner de manière correcte, ils devront adopter une méthode analytique et l’appliquer au langage sur lequel ils s’appuient. Ce rapport entre méthode analytique et langage est d’ailleurs ce qui constitue le critère de jugement qualitatif d’un langage selon Condillac qui affirme que « les analyses atteignent une précision d’autant plus grande que les langues sont bien faites. ». Une langue bien faite serait une langue avec laquelle il serait aisé de raisonner de la manière la plus claire et simple possible. C’est pour cela que Condillac appliquera la méthode mathématique aux autres langages. Les mathématiques se sont toujours imposés comme la science la plus parfaite de par leur capacité à accéder au vrai d’une manière analytique abstraite et évidente. La méthode des mathématiques fait qu’un raisonnement mathématique est dépourvu de toute interprétation et peut être incontestable, ce qui n’est que très rarement le cas des raisonnements prenant place au sein du langage commun. La particularité du langage mathématique est de faire voir l’analogie qui, bien qu’étant au fondement du langage, à tendance à s’effacer. En restant au niveau de l’analogie, le langage mathématique supprime toute ambiguïté dans ses propos. Comme l’explique Condillac « La langue des calculs est celle ou l’analogie se montre davantage. C’est à cela qu’elle doit sa richesse ».

methylenedioxymethamphetami

Un exemple de langage scientifique : le symbole chimique

Le rôle de l’analogie dans la formation du langage commun

Le langage commun doit s’inspirer du langage mathématique, lequel fonctionne par analogie. La différence entre le langage mathématique et les autres est que dans le langage mathématique « l’analogie se montre davantage. ». Ce qui signifie que l’analogie se trouve dans tous les langages mais de façon moins visible que dans le langage mathématique. L’analogie est au centre de la création d’un langage parce que le langage n’est qu’un système de signes. En tant que signifiant, il n’a premièrement pas réellement de contenance en lui-même, il ne sert qu’à indiquer quelque chose d’extérieur à lui. Il n’est pas dans les choses, il doit être en dehors de celles-ci s’il veut pouvoir les révéler. Pourtant, même si le langage n’est pas dans les choses, il y est intrinsèquement lié. Le rapport entre le langage et ce qu’il signifie passe évidemment par l’analogie. Ceci est visible quand Condillac décrit de la manière suivante comment doit se former le langage : « un mot devient naturellement le signe d’une idée lorsque cette idée est analogue à la première qu’il a signifié, et alors on dit qu’il est utilisé par extension. ». Condillac fait cette description lorsqu’il explicite le fait qu’une langue n’est pas quelque chose d’arrêté mais de constamment mouvant. Cependant, l’analogie peut être autant bénéfique que néfaste à l’élaboration d’un langage selon l’usage qui en est fait. Avec cette définition, Condillac montre que la création du langage n’est pas entièrement libre et contingente. Pour qu’un mot exprime clairement une idée il faut qu’il s’en fasse « l’extension », c’est-à-dire qu’il ne s’impose pas arbitrairement à l’idée mais qu’il la communique en étant au plus proche d’elle. Condillac affirme par ailleurs que la langue la mieux faite serait celle qui « devrait à l’analogie uniquement toutes les expressions dont l’usage se serait introduit ; et je crois que cette langue rendrait avec le plus petit nombre possible de mots, le plus grand nombre d’idées. ». Une langue est bien faite lorsqu’elle se développe exclusivement sur des analogies, il y a donc une autre méthode de création de vocabulaire qui est incorrecte. Condillac réprime l’idée que l’on puisse emprunter du vocabulaire aux autres langues pour l’intégrer à la sienne. Dans ce cas l’analogie effectuée n’est pas viable car elle ne répond pas au critère d’économie de mots, ni à l’extension de l’idée. Cette tendance au néologisme et à l’emprunt de mot étranger vient qu’ « on regarde souvent comme un abus d’employer le même mot pour exprimer des idées qui quoiqu’analogues, ne sont pas les mêmes à tous égards. ». Pourtant, il n’est pas abusif d’utiliser un même mot pour signifier plusieurs choses tant que l’analogie qui conduit à ces nouveaux sens se fonde sur l’idée première du mot. L’analogie permet d’ajouter des nuances aux mots et de les faire évoluer, le problème venant ensuite des amalgames dans l’usage de ce mot qui peut être pris dans de multiples sens s’il n’est pas clairement délimité. Il n’y a donc pas d’abus à donner plusieurs significations à un même mot mais il y a en a un à utiliser un mot en conglomérant toutes ses significations précises en une seule signification vague. Toutes ces subtilités dans la création du langage sont possibles grâce à l’analogie qui n’est, comme nous le verrons, ni une identité parfaite entre deux termes ni un rapport qui s’impose arbitrairement.

L’arbitraire d’un langage exclusivement fondé sur l’analogie

"Le langage des calculs", Condillac (Presse Universitaire de Lille)

« La langue des calculs », Condillac (Presse Universitaire de Lille)

Les remarques de Condillac semblent aller à l’encontre du caractère évolutif du langage tant elles font du langage quelque chose de très strict, autant dans sa création que son utilisation. Puisqu’une langue bien faite doit exprimer le plus d’idées avec le moins de mots, chaque mot aura plusieurs significations et il faut que chacune de ces significations soit connues dans sa plus infime nuance pour pouvoir être utilisée. Condillac se montre en faveur d’un langage complètement arbitraire, ce qui s’explique par sa volonté d’aboutir à un langage analytique ; le langage analytique étant réservé au raisonnement et non au littéraire. Dans un langage à vocation analytique, usé pour le raisonnement, le choix des mots n’est pas libre. Effectivement, Condillac affirme catégoriquement que « Le choix des mots est arbitraire ! ». Dès lors, il se confronte à l’opinion commune qui fait du langage quelque chose de malléable et libre. Cette opinion majoritairement acceptée sur le langage comme convention dont il est possible de se détourner pour adopter un style particulier vient du fait que l’analogie est mal interprétée. Les moments où le langage apparaît comme permissif et ouvert à l’expérimentation sont en fait révélateurs d’un usage approximatif du langage où « le choix des expressions a été souvent fait d’après des analogies si faibles, si vagues, si disparates, et quelquefois avec si peu de goût, qu’on serait tenté de croire qu’elles ont été faites comme au hasard. ». D’après cette critique de l’usage d’analogies faibles, il apparaît de nouveau que tout est arbitraire dans le langage. Condillac, immédiatement après avoir fait ces affirmations, se défend des possibles critiques de l’opinion générale par une remarque sur le goût qui n’est qu’une convention, mais ajoute que « Les langues sont d’autant plus imparfaites, qu’elles paraissent plus arbitraires : mais remarquez qu’elles le paraissent moins dans les bons écrivains. Quand une pensée est bien rendue, tout est fondé en raison, jusqu’à la place de chaque mot. ». Paradoxalement, le langage est décrit comme entièrement arbitraire mais une langue bien faite n’apparait pas arbitraire pour autant. En fait, c’est justement parce que le langage est arbitraire que quand il est fait selon les conventions établies et les bonnes analogies, chaque mot est à sa place. Et lorsque chaque mot est placé là où il doit l’être, l’arbitraire qui a été utilisé disparait parce qu’il apparait comme évident. Une sorte d’inversion s’opère car c’est quand un mot est utilisé là où il ne devrait pas qu’il apparait comme ayant été choisi arbitrairement dans la phrase, s’il avait été à sa place il serait passé inaperçu, il aurait été tout à fait commun. Cet effet est encore renforcé dans les raisonnements où il est impératif que le bon mot soit placé au bon endroit sans quoi, toute la démonstration échoue à transmettre sa pensée ou à aboutir au vrai. C’est de là que vient l’importance du langage mathématique car « L’algèbre est une langue bien faite, et c’est la seule : rien n’y paraît arbitraire. ». En effet, dans les mathématiques qui sont arbitraires par excellence, l’arbitraire disparait parce qu’il n’y a de toute façon pas d’autre choix possible. L’accès au vrai dans les mathématiques n’est possible que d’une manière unique et inaltérable. C’est pourquoi, après avoir étudié l’analogie dans le langage commun où elle peut être aliénée, l’étude de l’analogie dans le langage mathématique permettra de mieux la définir.

© Grégoire von Muckensturm

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2 réflexions sur “L’analogie chez Condillac | Principe de la formation du langage

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