L'analogie chez Condillac/Philosophie

L’analogie chez Condillac | Analogie ou frivole ?

Portrait d'E.B. de Condillac (1798)

Portrait d’E.B. de Condillac (1798)

L’analogie dans le langage mathématique

L’analogie a un rôle important dans la formation d’un langage mais là où elle est encore plus cruciale, c’est sans aucun doute dans le raisonnement. Elle est d’ailleurs omniprésente dans langage mathématique comme le montre Condillac en expliquant que « On ne fait donc, dans la langue des calculs, que des propositions identiques, et par conséquent frivoles nous objectera-t-on peut-être. ». Bien sûr, l’analogie telle qu’elle prend place dans le langage n’est pas forcément frivole, il conviendra d’exposer les différences entre ces deux types de ressemblances afin de lever l’objection de la frivolité.

Dans un premier temps, Condillac affirme que le langage n’est que propositions identiques. Puisque le langage fonctionne sur l’analogie, ces propositions identiques font référence à des analogies. Comme expliqué dans l’introduction, tout langage n’est qu’analogie, la particularité du langage mathématique est qu’il donne à voir l’analogie. En effet, les signes mathématiques sont beaucoup plus simples que peuvent l’être les mots. L’analogie en mathématique est simplement rendue par le signe égal. Ce signe met en relation deux propositions en précisant qu’elles sont identiques. Dès lors, il apparait que toutes les mathématiques ne sont qu’analogie puisque toute proposition mathématique comporte ce signe égal. L’étude de l’analogie au sein des mathématiques permet de voir en quoi l’analogie n’est pas une identité parfaite. Par exemple, dans le cas simple où l’on dirait que « deux plus deux est égal à quatre », l’analogie rapproche deux plus deux et quatre comme étant identiques ; ce qui est le cas. Pourtant, dire deux plus deux n’est pas la même chose que dire quatre. « Deux plus deux » est une opération, c’est donc quelque chose à faire, quelque chose qui n’est pas forcément connu alors que « quatre » représente le résultat de l’opération, c’est donc quelque chose de fini et donné. Ce phénomène se ressent de manière plus éloquente encore dans les équations, du fait que celles-ci présentent directement un ou des inconnus. Pour reprendre notre exemple sommaire, prenons l’équation : « deux plus x est égal à quatre », x étant un nombre inconnu. Il y a ici une identité entre deux propositions, laquelle est loin d’être frivole. C’est par l’analogie, qui apprend que deux plus x donne quatre qu’il sera possible de savoir quelle est la valeur de x, qui ici est deux bien évidemment. La résolution d’une équation se fait par une succession d’analogies dont la première présente une inconnue et la dernière donne le résultat de cette inconnue. Si l’analogie dans les mathématiques n’était que tautologie, il ne serait pas possible de résoudre d’équations, il ne serait même pas possible de résoudre des opérations. Dans l’analogie mathématique il y a une progression par le même, ce qui montre que ce même n’est pas une véritable identité. Si les mathématiques ne font que faire des propositions identiques, chacune des propositions n’a pas la même fonction, ce qui suffit à la différencier des autres.

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Ici, la ressemblance dans les termes est au service de l’idée commune d’aérodynamisme

La distinction entre l’analogie et le frivole dans le langage

Ce passage par la proposition identique dans les mathématiques permet ensuite de différencier ce qui fait l’analogie et le frivole. Les mathématiques rendent cette différence plus visible parce qu’ils ne font que des propositions analogues et que leurs termes sont par nature moins ambigus que les mots du langage commun. Par leurs termes les propositions mathématiques sont plus simples à étudier, et n’étant qu’analogues, il sera possible de voir par comparaison ce qui fait le frivole dans le langage commun.

L’exemple pris par Condillac est que si la proposition « deux et deux font quatre » n’est pas une analogie frivole, la proposition « six est six » est quant à elle frivole. Il apparait que si la première proposition relève des mathématiques, la deuxième, qui n’est pas une opération, prend place dans le langage commun. Même si les deux propositions semblent similaires, elles ne prennent pas place dans le même contexte et n’ont pas le même intérêt. Leur différence réside dans le fait que la première fait une proposition identique au niveau des idées tandis que la deuxième est identique dans les termes. C’est ce principe de distinction que Condillac met en place lorsqu’il dit que « ce n’est pas l’identité dans les idées qui fait le frivole, c’est l’identité dans les termes. ». En effet on n’apprend rien par la proposition identique dans les termes, or, justement, le propre de la frivolité « consiste à parler pour parler, sans objet, sans but, sans rien dire. ». On n’apprend rien car l’identité entre les deux propositions est parfaite, dans le frivole, il est dit d’un terme qu’il est ce terme sans qu’il soit défini pour autant. Dans l’analogie telle qu’elle doit être faite, l’identité entre les deux propositions ne concerne que l’idée tandis que les termes sont différents. De ce fait, il est possible d’y apprendre quelque chose, à savoir le fait que deux termes ont la même idée. En sachant que deux termes ont la même idée on apprend quelque chose sur ces termes et la façon dont on peut les mettre en relation. Dès lors, il n’y a effectivement que des propositions identiques dans les idées en mathématique, puisque les mathématiques reposent sur un système de signe dont chaque signe n’est qu’une idée. L’arithmétique ne présente aucun objet concret, tout calcul n’est qu’une opération abstraite, la relation se fait par l’idée et non par le terme. Le langage commun a un rapport différent aux idées puisqu’il permet de signifier des choses et objets réels en plus des idées. Bien qu’il puisse servir au raisonnement, le langage commun n’est pas que concept comme peut l’être le langage mathématique. Cependant, si les langues étaient mieux faites, il n’y pourrait que s’y faire, comme pour les mathématiques, des propositions identiques dans les idées. Le problème du langage commun venant, comme Condillac l’expose plus tôt, de la multiplication des termes dont les nuances finissent par s’amenuiser et disparaitre, donnant lieu à une multitude de termes voulant dire la même chose. Ainsi la frivolité n’apparait pas forcément parce que les termes apparaissent comme différents alors qu’ils sont identiques.

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Exemple de problème résultant d’un usage imprécis du terme frivole

L’analogie et le frivole dépendent donc presque entièrement du vocabulaire du langage puisque ce qui permet de les distinguer est la différence entre les termes. C’est à cause de l’incompréhension de certains termes que l’analogie et le frivole se confondent parfois. Condillac se bat contre l’indistinction qu’il peut y avoir entre une proposition identique et une proposition frivole. D’une manière générale, toute proposition identique est comprise comme frivole alors que ce n’est pas toujours le cas. En partant de l’opinion générale sur les propositions identiques, il n’est pas évident de dire que toute proposition mathématique est identique. Il l’est encore moins de penser que le langage commun ne devrait être fait que de propositions identiques, puisque l’analogie apparait moins dans le langage commun. Le problème de l’indistinction entre l’analogie et le frivole est que l’analogie prend le caractère négatif du frivole et tend à disparaitre du langage alors qu’elle en est constitutive. Condillac prend l’exemple des calculateurs faisant une opération : « Mais les calculateurs n’ayant pas remarqué que ces expressions sont identiques dans les idées, ils jugent qu’ils ont comparé des idées différentes, parce qu’ils ont comparé des mots différents. ». D’une part par peur d’être frivoles et d’autre part par une erreur de jugement sur les expressions, les calculateurs, et tout autre utilisateur d’un langage, se refusent à reconnaitre l’analogie là où il y en a une. Il y a une erreur de jugement fondamentale dans l’usage du langage qui fait du frivole une analogie et d’une analogie une différence. L’analogie est réduite au frivole et c’est pourquoi elle est ensuite remplacée par ce qu’on croit être deux propositions différentes alors qu’elle est toujours présente en tant que telle au centre du langage. Il apparait dès lors de façon claire pourquoi le langage ne peut se former correctement. Il n’est pas possible de constituer une langue bien faite tant qu’il y aura une incompréhension sur son matériau principal qui est l’analogie. Il est curieux de voir la façon dont est traitée l’analogie dans le langage alors qu’elle prend une importance toute particulière dans d’autre domaine, comme celui de la connaissance.

© Grégoire von Muckensturm

Retrouvez la première partie de cet article en cliquant ICI

Retrouvez la troisième partie de cet article en cliquant ICI

2 réflexions sur “L’analogie chez Condillac | Analogie ou frivole ?

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