Kamikaze(s) : perspectives théologico-politiques du martyr en Islam/Philosophie

Kamikaze(s) : perspectives théologico-politiques du martyr en Islam | Visages du kamikaze

Attentats du 11 septembre 2001 (photo)

Celui qui nie tout et s’autorise à tuer […] revendiquent le déploiement sans limites de l’orgueil humain.

Albert Camus, L’Homme révolté

Si tous les terroristes ne sont pas des kamikazes, tous les kamikazes sont des terroristes. La tâche et la volonté du terroriste est de faire régner la terreur, le soupçon permanent entrainé par le sentiment de peur. Les techniques d’effroi parmi des populations sont donc multiples et ne pas mettent nécessairement la mort en jeu. En revanche, le kamikaze projette son action à visée terroriste dans la perspective de mettre en jeu son corps, mais aussi celui des autres, dans sa propre mort. Cette mort n’est pas un suicide banal : ce n’est pas l’individualité propre du sujet, ni ses intérêts personnels qui motivent son suicide. C’est une cause suprême qui actionne le levier du kamikaze. A l’origine, le kamikaze est un aviateur Japonais, qui, lors de la Seconde Guerre Mondiale, « crashait » notamment son avion sur la flotte des Alliés au large de l’ile du Soleil levant. La Marine militaire était de fait terrorisée par ces hommes capables de mourir pour la cause qu’ils défendaient. Il apparait comme une certaine forme de romantisme qui fait du kamikaze un être humain apte à mourir pour ses idées, pour ses croyances, pour un projet politique ou religieux. C’est en 1983 que le Hezbollah parle pour la première fois, au nom de l’islam, de « kamikaze » pour revendiquer un attentat-suicide[1].

Frédéric Neyrat, « Le terrorisme, un cornet piégé »

Avant d’exposer les intentions et le projet de nos recherches, il nous semble judicieux d’éviter deux écueils qui planent régulièrement sur les terroristes et le terrorisme, notamment dans la sphère médiatico-politique. Comme le montre à juste titre Frédéric Neyrat, la notion de terrorisme est un concept piégé. En premier lieu, il est souvent annoncé que le terrorisme kamikaze constituerait, dans le cadre strictement religieux, en une particularité de l’islam. Farhad Khosrokhavar montre clairement que la notion de terrorisme, liée à la question du kamikaze et du martyr, est le fait de toute religion, qu’il y a une généalogie de cette violence dans tous les monothéismes mais aussi dans le bouddhisme. Ce n’est pas parce que l’actualité est faite malheureusement de kamikazes islamistes, que l’histoire du terrorisme n’a cours que dans l’islam. En second lieu, il est important de poser dès à présent que les termes de barbares et terroristes ne sont ni identiques ni interchangeables. Au contraire, le kamikaze est un être humain et ses intentions mortifères n’annihilent aucunement sa participation à l’humanité. Reléguer l’inhumain sur le plan du non-humain revient à défendre une zone d’exclusion qui constitue un obstacle à toute possibilité d’une pensée philosophique de la violence religieuse, représentée ici par la figure du kamikaze. C’est justement parce que le kamikaze est humain qu’il commet de tels actes inhumains – ou humain, trop humain. De fait, il sera question de montrer que la violence ne vient en rien du divin – d’Allah dans notre cas – mais bel et bien de ceux qui se réclament comme ses « meilleurs défenseurs ». Le kamikaze est un fidèle qui use de la violence pour un Dieu qu’il juge trop faible pour se défendre lui-même.

Nous avons choisi de délimiter notre champ d’étude à la relation entretenue entre les kamikazes et l’islam. Pourquoi l’islam ? Plusieurs raisons motivent cette décision, principalement l’actualité du début du XXIème siècle, où les morts-en-martyr que sont les kamikazes se posent dans le cadre de la religion musulmane. Nous observons une urgence à interroger les concepts qui façonnent un mode d’expression violent et assassin de l’islam, notamment car le terme de kamikaze n’a plus tout à fait la même dénotation. Il est régulièrement employé mais rarement redéfini. C’est pour cette raison qu’il est apparu comme une évidence d’essayer de montrer que la définition traditionnelle du kamikaze ne contrevient pas véritablement à ce que l’islam entend par la figure du martyr. Il semble qu’une proximité factuelle, ainsi que philosophique donne de l’épaisseur par la mise en parallèle du kamikaze et du martyr – sans pour autant jamais confondre les termes. Car si les récents événements ont montré une certaine ressemblance conceptuelle, ils ne sont aucunement des synonymes.

Le premier temps moment de notre étude sera consacré à la figure du kamikaze en islam elle-même, c’est-à-dire à sa typologie. Le kamikaze, nous le verrons, se divise en deux figures majeures : celle du héros et celle du saint. Ces deux figures se réunissent sous la figure du martyr, qu’il nous faudra distinguer entre le martyr défensif et le martyr offensif. Le second moment traitera de la perspective politique du sacrifice de soi et de l’attentat-suicide à travers les figures du kamikaze. Nous constaterons que le kamikaze défend un projet politique, notamment dans sa volonté de déstabiliser les Etats en introduisant la terreur. Enfin, le dernier moment sera consacré à la perspective théologique du kamikaze notamment à travers l’importance et le rôle du martyr en islam et de son extension pathologique et psychanalytique, de l’ « enthousiasme » à la notion originale de surmusulman.

I.      Visages du kamikaze

  1. La figure du Héros : romantisme et narcissisme

Dans son ouvrage Les nouveaux martyrs d’Allah, Farhad Khosrokhavar distingue deux figures majeurs du martyr en islam. La première figure qui va nous intéresser en premier lieu est celle dite du « Héros ». Elle est conçue par Khosrokhavar comme la vision du guerrier, qui, en se faisant martyr par le biais du suicide kamikaze, cherche à être ériger comme héros des temps modernes, une sorte de grand guerrier qui n’a peur de rien et certainement pas de la mort. Il s’y dégage un certain romantisme de l’action du kamikaze dans la mesure où il souhaite mourir pour un idéal transcendant. C’est le motif classique du romantique capable de mourir pour des idées, de mettre son corps en jeu dans le processus idéologique, philosophique et/ou religieux. Il est important de montrer, dans la lignée de Khosrokhavar[2], que ce ne sont non seulement des « fous d’Allah », des enthousiasmés, mais que le kamikaze croit trouver une forme d’héroïsme, de gloire, en raison de leur aptitude à affronter la mort, à faire que le suicide soit un moment d’expression de l’idéal auquel il croit. Cette figure correspondant à l’expression psychanalytique d’ « idéalisation héroïque[3] ».

Farhad Khosrokhavar

Mais pourquoi cette volonté de mourir en héros ? Pourquoi des croyants, des fidèles souhaitent mourir en martyr pour la divinité qu’il vénère ? Bernard Stiegler montre très justement l’importance d’une souffrance insupportable liée à la massification actuelle, qui empêche toute possibilité d’un « narcissisme primordiale[4] ». Sans pour autant psychiatriser ou sociologiser à l’extrême cette figure, Bernard Stiegler montre que l’impossibilité d’un narcissisme à la première personne du singulier et du pluriel comprend cette volonté de se faire héros, de ce besoin de « sortir du lot » pour parler trivialement. Il écrit :

Le narcissisme primordial du je souffrant avant tout des lésions du narcissisme primordial du nous, la folie  qui peut en résulter en résulter tend inévitablement à se porter au niveau d’un délire du nous, ce que les « professionnels de la lutte contre l’islam radical » présentent […] comme une combinaison de « fragilité psychologique » et de « crise identitaire ».[5]

Pouvoir dire « je suis » ou « nous sommes » est une manière essentielle de ne pas être fondu dans la masse, de ne pas disparaitre : il y a bien évidemment une sorte de détresse qui accompagne l’acte du kamikaze. La figure du héros est frappée bien plutôt de cette crise identitaire, de cette difficulté, voire de cette incapacité à pouvoir dire je ou nous. Le kamikaze, en se faisant martyr pour Allah, sait qu’il met enfin son individualité en jeu, en action, qu’il va pouvoir se différencier, à trouver une quête de soi, d’un « connais-toi toi-même » [Γνῶθι σεαυτόν] duquel il s’estime privé. Dans ce combat, dans cette lutte à mort au nom d’Allah, le kamikaze considère qui s’accomplit, qu’il accomplit son individuation en lui donne un sens particulier, en d’autre terme, narcissisé. Par ailleurs, lorsque nous aborderons la notion d’un autosacrifice ou du sacrifice de soi, dans les deux expressions est contenue l’idée d’une réflexion, d’un retour nécessaire sur soi.

David Thomson, « Les Français jihadistes »

David Thomson rapporte un témoignage qui appuie cette interprétation : « C’est l’islam qui nous a rendu notre dignité parce que la France nous a humilié[6] ». Lorsque D. Thomson parle avec Yassine, il est très affirmatif : le pays (la France en l’occurrence) nous a abandonné, délaissé. Il parle au nom de sa génération en disant qu’elle est une « génération déracinée, sans repères », puis de continuer : « en France, on nous appelle les enfants d’immigrés. Au Maroc, on nous appelle les enfants de l’étranger[7] ». Le jihad donne à l’individu une identité, qui le sort de la routine banale et impersonnelle du schéma « métro-boulot-dodo » dont parle Yassine à D. Thomson. Le moudjahid se sent considéré, reconnu : même s’il continue à être le maillon d’une chaine, chaque maillon a son importance et ce rôle est félicité et reconnu. C’est le processus de réidentification dont parle Fethi Benslama[8]. Nombreux sont les aspirants kamikazes qui vivent une vie confortable, loin du besoin, au sein d’une famille aimante et équilibrée. Mais il n’y a pas d’héroïsme à être banal, à être comme tout le monde. Mourir pour une cause transcendante revient à devenir quelqu’un, même de manière posthume. L’ « héroïsation » du kamikaze se fera par son nom et son visage exposés en une des journaux du monde, presque sanctifié ; au mieux, c’est Allah qui accueillera le kamikaze auprès de lui, réservant à sa mort une place au Paradis. Fethi Benslama affirme cette relation entre privation du narcissisme et tentation kamikaze, en montrant que le kamikaze vit sa mort comme au théâtre, en travaillant une scénographie élaborée, pour qu’il soit identifié, réidentifié. C’est à cet endroit que nous pourrions aller jusqu’à l’idée que le kamikaze recherche dans la figure du héros une processus de starification hollywoodienne : il veut réussir sa mort pour devenir un modèle, une sorte d’idole posthume qui narcissise son action vers la mort, son suicide.

  1. La figure du Saint : se rapprocher du divin

C’est la mort sacrée qui permet au kamikaze de prétendre à la sainteté, du moins de se mesure à la grandeur des saints. Dans le cas spécifique du jihad, c’est sur ce point qu’il y a une jointure entre jihad majeur (ou intérieur) et jihad mineur (ou extérieur). Dans les deux cas, c’est une tentative de purification de l’âme en s’élevant hors du corps. Dans le premier cas que nous évoquons c’est un travail spirituel sur soi de purification de son âme des passions, des pulsions, autrement dit du matériau corporel sans pour autant porter atteinte à l’intégrité de qui que ce soit. Dans une certaine manière, le Platon qui juge négativement le corps dans le Phédon (62-67b) est assez proche de cette tentative d’apprendre à mourir, c’est-à-dire de travailler à délier l’âme du corps afin de permettre à celle-ci d’espérer atteindre et découvrir un jour le vrai et les Idées. Platon parle de purification de l’âme en supprimant toutes les impuretés apportées par les appétits du corps et qui empêchent l’âme de philosopher, de désirer le vrai. Le croyant musulman qui pratique un jihad intérieur, d’un certain point de vue, élabore une maitrise de soi en cherchant une vérité que seul un esprit purifié du corps et de tout ce qu’il y a de corporel en l’homme peut espérer atteindre et connaitre.

Farhad Khosrokhavar, « Les nouveaux martyrs d’Allah »

Dans le second cas, cette purification fonctionne comme une épuration du corps physique en le supprimant dans un acte d’(auto)suppression violent mais aussi de guerre extérieure. Il ne s’agit plus de combattre ses propres démons ou impuretés, mais de considérer que l’incroyant, l’impie sont des mécréants qu’il faut supprimer par la suppression de son corps. Le projet du kamikaze islamiste est d’en finir avec ce qui fait de lui un humain, qui l’englue dans l’identité humaine à laquelle ne veut plus s’identifier, c’est-à-dire son appartenance physique, corporel. Le kamikaze islamiste souhaite être un musulman sans corps. Ainsi la dislocation du corps du kamikaze s’identifie au sacrifice d’Hussein (chez les chittes) seulement), puisque le kamikaze cherche non plus à commémorer ce sacrifice islamique mais à le reproduire. Petit-fils du Prophète, Hussein a subi le supplice d’être dispersé en morceaux, faisant irrémédiablement penser à l’explosion du corps du kamikaze[9]. Cette figure correspondant à l’expression psychanalytique de « désincorporation[10] ». De plus, il faut supprimer aussi le corps des mécréants qui viennent salir le monde de Dieu. Il n’y a et peut ne avoir que Dieu. Fethi Benslama écrit que « dans les attentats-suicides, la destruction de sa forme corporelle humaine [du kamikaze] et de celle de l’autre, réduit à des éclats de chair, correspond à une disjonction avec l’identité humaine[11] ». Il affirme cela, notamment à partir de témoignages qu’il a recueilli d’aspirants au suicide kamikaze qui disent se sentir déjà disloqués avant même le passage à l’acte, et vont même jusqu’à publier des nécrologies ante-mortem, pré-datées et pré-géolocalisées.

Contrairement au christianisme pour qui Dieu s’est incarné dans le corps de Jésus, l’islam ne pense aucunement que Dieu ait pu se faire chair. Il y a ainsi une image de la sainteté et du divin véritablement désincorporés. Pour se mettre au niveau des saints, pour espérer rejoindre cette sainteté, le kamikaze choisit de supprimer son corps pour rejoindre le royaume divin[12]. Malek Chebel montre que le cas de l’immolation est très explicite sur ce passage de l’humanité à une forme de sainteté[13]. Par le sacrifice, l’homme devient animal, et par l’immolation la bête devient ange, accédant de fait à un état de sainteté, de divinité. Le cas de l’immolation fait du kamikaze ni une bête ni un homme comme dans les autres sacrifices, mais il devient ange, il met un terme à sa quête de sainteté en y accédant par la mort, par sa propre mise à mort. Le saint est à rapprocher de la pureté, dans la mesure où le saint est sain. L’exemple de Wafa Idriss est frappant sur ce passage à la sainteté par une opération kamikaze : Gilles Kepel montre[14], qu’en plus d’avoir été la première femme à avoir commis un attentat-suicide, elle fut par la suite héroïsée, puis sanctifiée puisqu’une partie du monde arabe alla jusqu’à la comparer avec le Christ. On considéra qu’en devenant une « bombe humaine », elle « mit fin à la désolation et ranima l’espoir[15] ».

  1. Martyr défensif et martyr offensif

Ces deux figures que nous venons de développer apportent bon nombre d’accointances avec  le profil du martyr en islam. Khosrokhavar explique clairement que « dans les sociétés musulmanes, le martyr est une figure intermédiaire entre le héros et le saint[16] ». Soyons cependant très prudent sur ce que nous avançons : l’islam considère qu’il ne peut en aucun cas être accepté et acceptable qu’il y ait de quelconques intermédiaires entre les hommes et Allah — notons que même le Prophète n’en demeure pas moins qu’un humain. Il n’y a pas à proprement parler de demi-dieu ou de personnage qui serait plus qu’humain. Le martyr est un humain et rien d’autre, un être humain tout simplement. Cette idée d’ « intermédiaire » correspond à des pratiques localisées de l’islam, notamment chez les chiites et les sunnites[17], que nous ne développerons pas plus profondément ici.

Tout d’abord, nous allons définir le « martyr défensif » afin de pouvoir le distinguer sur de nombreux points du « martyr offensif » mais aussi pour s’en éloigner, car ce premier type de martyr correspond bien plutôt à la définition et à la « pratique » du martyr dans le christianisme ou dans le bouddhisme. Le martyr défensif est une figure qui ne cherche jamais à attaquer ni attenter à la vie de qui que ce soit, mais se présente sous la forme d’une protestation non-violente. Ce type de martyr se compose comme un refus se traduisant par une persécution et une exécution[18]. Il s’oppose, souffre et accepte certaines douleurs, mais jamais n’attaquent ni n’offense quoique ce soit. Il y a un certain dolorisme inhérent au type du martyr défensif.

Pages du Coran

En revanche, le martyr dit « offensif » est celui approche bien plus précisément la figure du kamikaze islamiste. Car, s’il est effectivement vrai que « le combattant n’est pas forcément un martyr, [et que] le martyr n’est pas nécessairement un combattant[19] », pour autant le martyr offensif se définit essentiellement comme combattant. Bien que dans les types de martyrs, le « sacrifice de soi » se trouve au centre de leur action ou de leur lutte, l’expression de cet autosacrifice n’est en rien similaire. La mort au centre de la volonté du martyr offensif, au plutôt un désir de mort. Khosrokhavar définit ce type du martyr ainsi : « Le martyr offensif est animé du désir de supprimer l’ennemi par le recours à la violence légitime, cautionnée religieusement. La lutte implique la suppression de l’adversaire impie et oppresseur[20] ». Il faut remarquer que deux versants animent la figure du martyr en islam. D’une part, c’est l’idée du sacrifice. Le sacrifice concerne l’aspect religieux ou théologique du martyr : en mourant, c’est-à-dire versant son sang, celui qui se sacrifie veut pouvoir rejoindre et s’unir au divin. Il cherche à accomplir une sainteté désirée en supprimant son corps. D’autre part, c’est l’idée de la lutte qui est à l’œuvre dans l’activité du martyr en devenir. Nous remarquons ici la dimension politique du martyr, qui se sacrifie avec pour objectif et pour motivation la lutte à mort contre un oppresseur jugé illégitime. La figure du martyr lie les dimensions politiques et théologiques du kamikaze, ainsi que les figures du héros et du saint puisque « seule la décision héroïque de se réaliser dans la mort par le sacrifice librement consenti à une cause révolutionnaire dénommée islam est dotée d’une signification sacrée. Le martyr réalise l’individu en l’insérant dans l’histoire tel son  « cœur palpitant » […] Il est reconnu et flatté au début pour être sacrifié, au terme, sur l’autel d’une histoire de salut collectif[21] ». Notons au passage que le sunnisme fusionne intégralement le martyr à la guerre sainte.

Comment justifier le martyr ? Khosrokhavar montre qu’un verset du Coran accrédite explicitement ce vouloir-martyr :

Certes, Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens en échange du paradis. Ils combattent dans le sentier d’Allah : ils tuent, et ils se font tuer. C’est une promesse authentique qu’Il a prise sur Lui-même dans la Thora, l’Evangile et le Coran. Et qui est plus fidèle qu’Allah à son engagement ? Réjouissez-vous donc de l’échange que vous avez fait : et c’est là le très grand succès. (IX, 111)[22]

Ce passage exprime clairement l’idée selon laquelle le kamikaze croit en son rachat par Dieu en devenant martyr. Combattre dans le sentier d’Allah assure au futur martyr le paradis, c’est une promesse qui lui est faite et qui se réalisera si le kamikaze passe à l’acte et périt sur le chemin de Dieu. Le terme d’ « échange » est central dans ce verset car il dénote l’idée, non pas seulement d’une promesse, mais d’un service rendu à Allah qui promet en retour sa reconnaissance éternelle et une place au paradis. Le martyr est récompensé pour son passage à l’acte, qu’il tue ou qu’il soit tué. Le combat offensif, et non pas passif, fait du kamikaze un martyr reconnu de Dieu. Dès lors, le martyr peut se définir en tant son sacrifice est le témoignage de la vérité pour laquelle il meurt.

© Jonathan Daudey

Notes :
[1] Benslama, Fethi. La guerre des subjectivités en islam, p. 73

[2] Khosrokhavar, Farhad. Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 10

[3] Benslama, Fethi. La guerre des subjectivités en islam, p. 86

[4] Stiegler, Bernard. Dans la disruption, p. 131

[5] Stiegler, Bernard. Dans la disruption, p. 131

[6] Thomson, David. Les français jihadistes, p. 15

[7] Thomson, David. Les français jihadistes, p. 24

[8] Benslama, Fethi. Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman, p. 101

[9] Nous retrouvons deux importants développements sur la figure sacrificielle et martyrologique d’Hussein dans Benslama, Fethi. La guerre des subjectivités en islam, p. 74-79 et dans Khosrokhavar, Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 40-45

[10] Benslama, Fethi. La guerre des subjectivités en islam, p. 86

[11] Benslama, Fethi. Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman, p. 103

[12] On retouve des cas semblables dans le christianisme, à l’image du « culte des martyrs »

[13] Chebel, Malek. L’inconscient de l’Islam, p. 99-107

[14] Kepel, Gilles. Terreur et Martyre, p. 121-122

[15] Kepel, Gilles. Terreur et Martyre, p. 122

[16] Khosrokhavar, Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 12

[17] Khosrokhavar, Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 12

[18] Nous renvoyons ici aux nombreux exemples historiques mobilisés par Khosrokhavar dans Les nouveaux martyrs d’Allah, pp. 15-19, mais qui nous importe peu pour nos recherches autour de la figure du kamikaze.

[19] Benslama, Fethi. La guerre des subjectivités en islam, p. 70

[20] Khosrokhavar, Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 19-20

[21] Khosrokhavar, Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 94-95

[22] Nous reprenons ici la traduction officielle de l’Arabie Saoudite qu’utilise Khosrokhavar dans Les nouveaux martyrs d’Allah, p. 22. Il renvoie le lecteur à la lecture de Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de sens versets (l’an 1410 de l’Hégire).

3 réflexions sur “Kamikaze(s) : perspectives théologico-politiques du martyr en Islam | Visages du kamikaze

  1. Un concept qui ne se détermine pas par l’intermédiation de la raison et ne respecte pas les apories et l’inconnaissable comme tel n’est pas une vérité, mais une croyance qui amène à une constellation idéative qui n’appartient pas du tout à la démarche philosophique.
    Essayer d’appréhender les évènements caractéristiques (ou même pathognomoniques) d’une formation culturelle définie sans avoir, avant tout, considéré la prudence et le bienfondé de ses encadrements mythiques et métaphasiques n’aboutis qu’à des raisonnements relatifs à la propre culture ; des explications et descriptions replier sur elles-mêmes.
    Explicitations intra culturelles, internes, ne fournissent pas d’ouvertures ou d’intersections suffisantes et adéquates où fonder des reconnaissances et compréhensions plus universelles – capables, par exemple, de défaire des possibles chocs interculturels ou, au contraire, d’établir des verdicts irréfutables et radicales comme la présence d’aberrances et d’atypies absolument condamnables, immorales en toutes circonstances.
    C’est en recourant à une compréhension qui valorise la raison et le savoir (le bon sens et le goût de l’expérience existentielle) que les concepts sous scrutin pourront s’observer à partir de références plus élargis et compétentes, plus universelles – dans le sens de pouvoir éclaircir et confirmer une bonne fondation et orientation philosophiques d’un point de vue humaniste, existentialiste et écologique ; ou, au contraire, dévoiler des causalités, fondations et résultantes erronées et nocives.
    Pour penser plus clairement, sortir d’une investigation cloisonnée pour viser une conceptualisation plus continente capable d’intégrer des distinctions multiples, il faudra dépasser la constellation de méronymes ou d’hyponymes descriptifs et distinctifs du sujet en question à la recherche d’un lexème apte à élargir les notions et les articuler dans des perspectives plus générales.
    Dans cet exemple : « les kamikazes, terroristes, adeptes du jihad (dont l’objectif et la suppression des ‘mécréants’) et les ‘martyrs offensifs’ » pourront tous êtres, provisoirement, décrits et qualifiés comme « fanatiques » – c’est à dire, des intransigeants emportés par une ardeur excessive, une passion démesurée pour une religion, une cause, un parti, etc., et, aussi, par extension : des intraitables, inflexibles, sectaires, exaltés entre autres.
    L’énoncé des antonymes du terme suggéré comme hyperonyme démontrent et confirment sa possible adéquation : effectivement, les antonymes plus fréquemment cités du lexème « fanatique » sont : impartial, tolérant, rationnel, libéral, détaché et septique, donc, des mots aux signifiés antipodiques au lexème vedette « fanatique » et aux hyponymes qu’il englobe : en conclusion, « fanatique » s’établis comme un hyperonyme juste et précis.
    Les synonymes et antonymes d’autres mots vedettes envisageables comme « monstrueux » ou « barbare » expriment moins bien l’idée générale évoquée par le terme fanatique : « monstrueux » est plus axé sur la forme (combinant avec : difforme, affreux et, au contraire ; divergent de : beau et normal) alors que « barbare » l’est sur le caractère (combinant avec : bestial, brut et, au contraire ; divergent de : civilisé et cultivé).
    Si bien que « barbare » pourrait aussi servir de lexème vedette pour cette constellation d’hyponymes sous scrutin, le mot « fanatique » est sans doute le plus précis pour connoter des dérives et des vices relatives à la cognition (comme sectateur, sectaire, adorateur, déraisonnable, insensé, polariser, factieux, dogmatique, entre autres) – il va de soi que les grands malheurs causés par l’humanité résultent de l’abandon d’un usage clair et précis de la rationalité et sensibilité, donc, d’un obscurcissement de l’intelligence.
    Une fois réorientées dans des rapports et dans une perspective plus générale par l’usage d’un hyperonyme adéquat, les notions antérieurement connotées dans une ambiance plus délimitée et sectaires révèlent les intersections et valeurs plus fondamentales auxquelles ces notions reportent et, en fait, appartiennent.
    Dans la mesure où l’indéniable hyperonyme « fanatisme, fanatique » évoque : intransigeance, passion excessive et aveugle, partisanerie sectaire, intolérance, dogmatisme, irrationalité et absurdité ; un égarement cognitive et une aliénation persistante et chronique démontrent participés, centralement, de la formation identitaire de ces individus dénommés « kamikazes, terroristes, jihadistes et ‘martyrs offensifs’ ».
    Dans un sens philosophique, ce groupement est donc très loin, à l’antipode même, de constituer une communauté humaniste, intelligente et sage. Dans cet état d’esprit (et de praxis) morbide et criminel – fanatique – l’être humain, qua humain, n’est pas reconnu comme porteur d’une valeur suprême ; au contraire, quand « incroyant » (une virtus plutôt positive en philosophie où, pour arriver aux vérités admises par la raisons, le doute et le scepticisme systématique sont indispensables), l’individu est défini comme un « mécréants » ; un candidat « légitime » à une suppression sommaire. Cette communauté de fanatiques se caractérise donc comme antihumaniste, antihumaine et, d’un point de vue philosophique, inhumaine.
    Dans ces perspectives plus universelles il est facile de se rendre compte que caractériser ses comportements aberrants et en deçà des discernements raisonnables, sensibles et typiques du homo justement réalisé (en accord avec sa nature et à son hauteur) comme « romantiques, héroïques et saints » est franchement déplacé.
    Le fanatique ne peut pas être romantique ; il n’y a pas de romantisme sans une forte sensibilité esthétique et un sentiment numineux face à la grandeur et beauté de la nature : c’est quand l’intelligence esthétique s’insinue entre les frontières des formes pour tout lier et soi-même unir dans une harmonie profonde où s’établit un sens très vif de l’universel – une épiphanie qui éveille un respect sacré à tous les « états d’êtres ».
    Le fanatique ne peut pas être saint ; il n’y a pas de sainteté sans amour véritable et profond ; et l’amour, comme un attracteur, est le soleil autour duquel gravite toutes les virtus – cardinales, théologiques et les outres : respect, compréhension, simplicité, bonté, compassion, fraternité, etc.
    Le fanatique ne peut pas être héroïque ; il n’y a pas d’héroïsme sans courage, sans un cœur sage, bienfaiteur et glorieux qui préserve la vie ou donne sa propre vie pour préserver celle de l’autre considéré porteur naturel d’une valeur suprême.
    Le chemin du guerrier se réalise tous les jours, à tous les instants, quand, réveillé, on se sent suspendu dans l‘existence comme un corps en chute livre ; prisant l’instant, également, dans le moment en soi et dans l’absolu – lieux ou l’éternité et l’éphémère, le transcendent et le transcendantal, la vie et la mort sont facettes d’un seul arcane.
    Cette « idéalisation héroïque » imaginée pouvoir être célébrée dans le vacarme médiatisé et la destruction n’est qu’un cauchemar sans esprit, sans vérité, sans présence et sans pouvoir. Un vivant que ne se comprend pas déjà, dans la solitude de soi-même, par lui-même et devant lui, comme substance universelle pleine d’essence suprême et sublime est vide comme un désert, un cocon sec ; il ne sera rien de plus qu’anecdotique, même à la une des medias qui s’oublient et à la huée des masses qui passent comme des caravanes à l’aboi des chiens.
    Sans guidance spirituelle propre et intrinsèque, native, l’humain perd son identité réelle et, bien sûr, ne la retrouvera pas explosant son corps et ceux des autres. La crise identitaire, dans son origine profonde, n’est pas, premièrement, un phénomène sociologique ou psychanalytique, mais métaphasique. C’est le mythe fondateur de ces cultures qui déshonore l’humanité en la dessinant comme un détachement de déportés obligés à la « peine de vivre » et au sacrifice pour purger des « idées inadéquates originelles ».
    En général sans puissance, sans intelligence (raisonnable et sensible) suffisante pour défaire ce nœud fondamental et funeste, l’humain, ainsi mythifier à sa naissance, n’arrive pas à récupérer son identité et conscience universelle, se reconvertir à sa vrais nature qui est d’être le directeur livre et souverain de son propre destin – dans les limites accordés par la providence et la nature.
    Quant aux assassins infâmes et fanatiques, qui – au-delà d’une possible reconversion à la réalité et au bon sens – ont choisis de mourir embrasés et embrassés à leurs hypothétiques irrationalités, on n’a rien à leur dire ; il est pourtant souhaitable qu’ils aillent se faire détoner, comme ils le désirent tellement, loin, très loin, isolés aux plus profonds de leurs déserts.

    PS : Il ne me reste qu’à indiquer une étrange contradiction dans l’article ici commenté :

    1) « De fait, il sera question de montrer que la violence ne vient en rien du divin – d’Allah dans notre cas – mais bel et bien de ceux qui se réclament comme ses « meilleurs défenseurs ». Le kamikaze est un fidèle qui use de la violence pour un Dieu qu’il juge trop faible pour se défendre lui-même ».

    2) Combattre dans le sentier d’Allah assure au futur martyr le paradis, c’est une promesse qui lui est faite et qui se réalisera si le kamikaze passe à l’acte et périt sur le chemin de Dieu. (…) Le terme d’ « échange » est central dans ce verset car il dénote l’idée, non pas seulement d’une promesse, mais d’un service rendu à Allah qui promet en retour sa reconnaissance éternelle et une place au paradis. (…) Le martyr est récompensé pour son passage à l’acte, qu’il tue ou qu’il soit tué. Le combat offensif, et non pas passif, fait du kamikaze un martyr reconnu de Dieu ».

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