
Pierre-Joseph Proudhon
Étudier la postérité philosophique de Proudhon (1809-1865) n’est pas sans poser de problèmes méthodologiques. Tout d’abord, Proudhon n’a pas eu à proprement parler d’héritiers. Le plus exigeant, le plus fidèle dans sa lecture fut sans doute Georges Sorel. Mais, à la différence d’autres philosophes qui furent ses contemporains, Auguste Comte notamment, Proudhon ne donna pas naissance à une communauté d’inconditionnels. Bernard Voyenne, qui intitule le préambule de son ouvrage sur le fédéralisme « La postérité de Proudhon »[2], détaille cette difficulté. Selon lui, aucune école proudhonienne ne s’est jamais formée. Proudhon lui-même eut une conscience aiguë de cette marginalité : selon ses termes, il était « toujours regardé comme un écrivain excentrique, incommode, importun, déplaisant. »[3] Plus encore, il revendiquait cette position, allant jusqu’à déclarer, depuis sa prison, à un publiciste qui souhaitait écrire La Vérité sur M.Proudhon, qu’une monographie qui lui serait consacrée serait une « autopsie de [son] cadavre ».
Proudhon fut raillé par ses contemporains pour sa versatilité, en particulier sur la question de la propriété : il s’était d’abord posé en adversaire farouche de celle-ci, avant de finalement réhabiliter l’appropriation. Pour Bernard Voyenne, la réception de Proudhon fut toujours contrastée : « on n’en finissait pas de dresser la liste des tempêtes qu’à chacun de ses ouvrages, ou presque, Proudhon soulevait parmi le public des précédents »[4] Force est de constater ici une continuité : il s’est toujours refusé à tout esprit de chapelle. S’autoproclamer maître d’une école philosophique l’aurait fait chuter dans le plus profond écueil, celui qui transforme l’anti-dogmatisme en dogmatisme, celui dans lequel Marx5 s’est abîmé. Ce dernier était pourtant averti : « ne songeons point à notre tour à endoctriner le peuple. »[6] Proudhon ne fut pas de ces philosophes qui écrivent pour les philosophes, pour un cercle de happy few : son principal interlocuteur était le peuple. Le vœu qu’il persistait à formuler était que sa parole se diffuse par le bas, dans toutes les couches de la société, afin que le peuple, sans le lire, l’entende. [7]
Penser une postérité philosophique de Proudhon, c’est donc considérer une lignée de penseurs qui, à la suite du Bisontin, ont envisagé le fait social non au-devant de lui, objectivement et de l’extérieur, mais en-dedans. Résolument opposés à la tour d’ivoire hégélienne, ces philosophes ont à cœur de remodeler la société en son sein même. La revendication d’un tel mode de philosopher est au cœur de la première partie de cette étude, à travers l’éclaircissement de la relation singulière de Proudhon et Georges Sorel. En s’insérant dans la société, ces deux penseurs ont ressenti la variété de ses phénomènes, ce qui explique le recours à des méthodes précises : dialectique sérielle chez Proudhon, diremption chez Sorel. Une troisième partie élargit le champ des influences proudhoniennes, en décelant chez d’autres penseurs du XXe siècle une ligne pluraliste.
© Elise Tourte
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[1] Inspiré du titre de R. HUMPHREY, Georges Sorel, prophet without honor.
[2] B.VOYENNE, « La postérité de Proudhon », Histoire de l’idée fédéraliste, t.II. Le Fédéralisme de P. J. Proudhon, pp.13-49.
[3] P.-J. PROUDHON, Lettre à Gouvernet, 19 décembre 1861, dans Correspondance t.XI, p.296-297.
[4] B.VOYENNE, Op.cit, p.19
[5] Les rapports entre Marx (1818-1883) et Proudhon ne seront qu’évoqués dans cette étude. En effet, Marx, qui est son contemporain, ne relève pas à proprement parler d’une postérité de Proudhon.
[6] P.-J. PROUDHON, Lettre à Marx, 17 mai 1846, dans Correspondance t.II, p.198.
[7] Voir P.-J. PROUDHON, Lettre à Crétin, 21 mai 1858, dans Correspondance t.VIII, p.47.
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