Cinéma/Philosophie

Conversation (animée) avec Noam Chomsky

Noam Chomsky

Noam Chomsky

Scénographie. Le réalisateur français Michel Gondry s’est lancé dans un projet cinématographique et philosophique intéressant et insolent : monter un long entretien avec le célèbre philosophe américain Noam Chomsky et illustrer ses propos par des dessins animés de sa plume. Intentions louables, résultats en demi-teinte.Sorti fin avril 2014, « Is the man who is tall happy ? », ce documentaire tourne encore dans les salles de cinéma d’Art et d’Essais. Pourquoi Gondry s’est-il lancé dans des entretiens avec l’un des philosophes contemporains les plus côtés ? Gondry a découvert Chomsky et a été fortement frappé par les positions politico-philosophiques de cet homme. Chomsky déteste les américains, en particulier leur impérialisme maladif, contre lequel il milite avec ferveur et foi, tout comme dans sa défense de la liberté d’expression qui ne fait pas loi aux Etats-Unis – contrairement à ce que le pays laisserait paraître aux yeux du monde (qui est souvent borgne et myope de l’autre). Chomsky, c’est, tout simplement et à juste titre, une grande figure de la philosophie aujourd’hui, par son talent d’orateur et sa puissance d’éloquence médiatique. Ainsi, c’est l’homme public qui a, superficiellement, interpelé Michel Gondry, qui vogue sur les vagues transatlantiques depuis maintenant quelques années.

Michel Gondry

De bonnes intentions… Michel Gondry ne connaît pas grand-chose de la philosophie et son histoire, peut-être des restes de son passage au lycée. Ceci n’est pas une pique de prétentieux étudiant en philosophie : il le dit lui-même – voire le répète de manière quasi excessive. Or, quand on touche à Chomsky, qu’on cherche à le dévêtir de sa coquille médiatique, il faut se confronter au philosophe, au linguiste et l’historien des sciences. Détour impossible ; un demi-tour serait faire preuve de paresse intellectuelle. Gondry se met alors au défi de rendre cinématographique et « esthétique » la pensée de Chomsky. Il prend le pari audacieux de construire un dessin animé. On parle souvent de travailler à « illustrer les propos » assez complexes, notamment en philosophie, pour obtenir une qualité de transmission et de pédagogie plus performante, Gondry a pris cette expression au pied de la lettre. Des dessins plutôt bons, par leurs qualités esthétiques et pédagogiques. L’utilisation de symboles, d’images et d’animations rend le propos du film plus clair et facilement mémorisable, puisqu’il fixe en nous des impressions, des mouvements qui explicitent une pensée a priori abstraite, hors de toute concrétude. L’intention est louable, dans la mesure où Michel Gondry part du principe que, lui-même, n’étant pas un spécialiste de la philosophie, et de la pensée de Chomsky, si son travail d’animation permet de lui rendre l’entretien (qu’il a tourné en plusieurs fois, sur plusieurs rencontres, les unes relativement espacées des autres) plus clair et distinct en son esprit, alors tout quidam de son acabit comprendra aussi. C’est avant tout la place de ce philosophe – et des philosophes – dans l’Histoire à qui Gondry veut rendre hommage en donnant à voir et à entendre, à la fois naïvement et admirativement, une pensée en action, une construction logique d’un discours à la fois philosophique et scientifique tout en conservant le style de Chomsky et l’émotion qui est provoqué devant un « savant » qui n’est pas encore mort. C’est le film sur la parole d’un philosophe encore assez vivant pour que ces textes n’aient pas encore la prétention de lui survivre.

…mais un projet raté. Nous sommes en droit de nous poser quelques questions. Etait-ce le meilleur hommage qu’on puisse faire de Chomsky ? La réalisation cinématographique est-elle à la hauteur des intentions pédagogiques a priori ? Quid du contenu philosophique ? Et nous sommes en droit d’y répondre plus ou moins négativement. De juger que c’est un hommage à la hauteur de Chomsky et sa philosophie, rien n’est plus dur, d’autant plus que Noam Chomsky lui-même a regardé le projet finalisé et a fixé son accord pour la diffusion du film. Il est, de facto, difficile de penser que Gondry ait réalisé un navet aussi fade que pourri. En revanche, il est plus qu’étonnant que ce film soit aussi pauvre et creux quant à la pensée que Chomsky développe et défend depuis de nombreuses années. En effet, Gondry le questionne de façon si vague et imprécise, que les réponses de Chomsky ne le concerne pas lui-même mais un conte de l’histoire de la philosophie des sciences. Or, voilà la faiblesse majeure de ce documentaire, qui occupe deux bons tiers du film : lorsque Chomsky se lance ce cours accéléré sur l’histoire des sciences, ceux qui sont « spécialistes » n’apprennent rien du tout et se laissent dévorer par un ennui profond ; et ceux qui découvrent ce récit en toute naïveté et ignorance n’apprennent rien non plus car Chomsky s’exprime comme devant une assemblée d’apprentis philosophes qui détient déjà un bagage historique et conceptuel.

L'affiche du film

L’affiche du film

Après un long développement – trop long – sur l’histoire des sciences et de l’épistémologie, Gondry se décide enfin à amener la discussion à se diriger sur la propre pensée et les travaux de linguistique de Chomsky, la fin du film est plus proche que jamais et se termine alors l’intérêt du documentaire était tout justement à ce moment précis. Ceux qui étaient venus découvrir Chomsky, comme ceux qui le connaissaient déjà bien ressentent comme une véritable frustration : comment Gondry a-t-il pu passer à côté de son entretien à ce point ? Comment a-t-il pu laisser filer la parole de Chomsky à propos de Chomsky ? Au lieu, il a préféré, plus tôt dans le film, lui poser une question, assez déplacé et absolument indélicate sur sa feue femme. Interrogation qui relevait bien plus d’une impudeur, Gondry se prenant pour un curé dans un confessionnal ou un psychanalyste ayant sur son divan un patient à qui on fait raconter des choses, certes intéressantes, mais qui n’apprennent ni ne font apprendre rien de lui. Absurdité. Enfin, devoir de parler de Michel Gondry lui-même. Il a, a priori, une bonne idée – comme souvent dans ce film – qui, a posteriori, dérive : on (re)découvre l’orgueil d’un réalisateur qui a besoin qu’on parle de lui, qu’on le voit, qu’on l’entende, qu’on sache que c’est lui derrière la caméra. Il décide de mettre la réalisation en abîme et mettre en animation la composition des dessins. Pourquoi pas. Voilà une idée, pas forcément innovante mais très peu courante et toujours passionnante. A condition que la personne qui se met en scène ne s’en serve pas principalement pour se mettre en avant, pour se faire briller. Exemple à l’appui : il n’a de cesse de répéter qu’il ne connaît rien à la philosophie et que malgré ce manque il réussit à rendre compréhensible Chomsky… Comme si nous avions besoin de Michel Gondry pour accéder à Noam Chomsky et surtout à le comprendre ! Il ne faut pas prendre ses spectateurs pour des idiots. Autre exemple pour illustrer cette dernière partie de la critique. Gondry n’a de relâche de nous expliquer que c’est pour lui une première de créer un dessin animé mais qu’il parvient, contre toute attente, à faire quelque chose d’esthétique… Applaudissons-le ! Michel Gondry est fier de lui et il nous le fait savoir. Noam Chomsky a apprécié son travail, du moins n’a mis aucun véto à sa diffusion nous dit-il, et il nous le fait savoir. Résultat : un documentaire animé aux promesses alléchantes et à la réalisation finale en demi-teinte, voire en quart de teinte…

© Jonathan Daudey

2 réflexions sur “Conversation (animée) avec Noam Chomsky

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