
« Being Liberal », détournement du visuel de la marque Coca-Cola
Le passage de l’état de nature à l’état civil est un passage du droit de tous sur toutes choses au droit privé, à la propriété privée protégée et sécurisée par l’Etat. L’état civil est fondé sur la possibilité et la nécessité de spolier la communauté pour fonder la propriété privée.
Cette théorie relève, à mon sens, d’une conception de la nature humaine erronée et d’une finalité donnée à l’Etat erronée. Concernant la première erreur, il s’agit du débat célèbre entre la conception hobbesienne de l’homme comme loup pour l’homme et la conception rousseauiste de l’homme naturellement bon. Or, cette question, a priori périphérique ou, pire, reléguée au Musée des antiquités philosophiques (qui dit ancien dit passé qui dit dépassé qui dit inutile, etc., à moins que…) est fondamental puisqu’elle justifie ou fonde théoriquement une certaine vision de la société politique. En effet, Hobbes a besoin de cette conception de l’état de nature pour fonder sa conception de la société et de l’Etat. Inversement, Rousseau a aussi besoin d’un homme naturellement bon pour se dégager des implications théoriques que la conception de Hobbes entraîne.
Je reprends à mon compte, et j’avouerai que c’est aussi un argument d’autorité, surtout dans l’usage du vocabulaire, les termes d’Hannah Arendt : la théorie de de Hobbes repose sur une vision impérialiste du pouvoir comme accumulation du pouvoir et de la propriété privée. L’homme de Hobbes n’est autre que « l’homme bourgeois moderne », et la théorie du Commonwealth faite par Hobbes fonde la conception moderne du pouvoir, en particulier l’impérialisme. Voilà qui est dit.

Thomas Hobbes
La vision hobbesienne et ses avatars capitalistes consistent à associer le droit de tous à la guerre de tous contre tous. Le leitmotiv de cette vision est de préserver la propriété privée contre les autres. Voilà le fondement et le seul fondement. Dans une autre perspective, nous pourrions penser à côté du droit de tous à un droit commun ou un droit collectif consistant à se demander comment un bien d’utilité commune peut devenir non pas une propriété possible de tous définie par Hobbes (droit de tous sur toutes choses légitimant l’usage de la force, de la violence et de la spoliation menant donc à la guerre) mais une propriété commune de droit, c’est-à-dire le passage du droit de tous au droit de la communauté. Ce droit consisterait d’une part à extraire le bien de son état de nature dans lequel il demeurerait hors de toutes lois civiles, et d’autre part à régler son usage suivant des lois politiques fixant la légitimité commune de sa jouissance dans le but de l’intérêt général. L’effort de Rousseau consistant à décrire un homme naturel bon, à l’abri des vices, se comprend à partir de cette exigence de détruire la vision hobbesienne de l’homme et l’ensemble de ses conséquences sur la fondation de la société civile.
Corrélativement, dans le chapitre premier, II, Hobbes critique la conception naturaliste de la société : « Si l’on considère de plus près les causes pour lesquelles les hommes s’assemblent, il apparaîtra bientôt que cela n’arrive que par accident, et non par une disposition nécessaire de la nature. » Il affirme donc que les hommes ne vivent pas naturellement en société parce qu’ils ne s’accordent pas naturellement, au contraire ils s’opposent, ils se détestent naturellement, ils se font la guerre. La société est contingente et accidentelle, il n’y a aucune nécessité à vivre ensemble. C’est tout de même une vision individualiste de l’homme, l’homme est cet être seul, égoïste, menaçant et menacé, atomisé et prêt à tout pour jouir de ses propriétés. Au mieux, si cette description est vraie, elle ne l’est que dans un certain contexte, dans une certaine société, à certaines époques.
C’est une nouvelle fois Rousseau qui s’insurge contre cette vision, lorsqu’il affirme que l’homme de Hobbes n’est pas l’homme naturel mais un certain type d’hommes, d’une certaine société. Dans le même sens, il faut récuser l’idée que la guerre appartient à l’état naturel (Du contrat social, livre I, chapitre IV) : « Par cela seul que les hommes vivant dans leur primitive indépendance n’ont point entre eux de rapport assez constant pour constituer ni l’état de paix ni l’état de guerre, ils ne sont point naturellement ennemis. » La guerre et la paix supposent toutes deux des sociétés, des Etats, des lois, en bref des rapports constants réglés par des lois et des contrats. Or, l’état de nature est, par définition, absence de contrat et de lois civiles ; par conséquent, parler de guerre à l’état de nature est certainement un abus de langage.
En réalité, Hobbes projette sur l’état de nature les défauts de la civilisation moderne, et cette « violence conceptuelle » tient à son intention de justifier la « violence » réelle de l’Etat. Quand Rousseau déclare que la société pervertit l’homme, outre sa méfiance à l’égard des grandes sociétés, il veut dire tout simplement qu’il faut à tout prix refuser la vision hobbesienne de l’homme, que celle-ci ne correspond qu’à l’homme moderne, déjà largement perverti par une civilisation du pouvoir et de la richesse. Et il affirme aussi que par une éducation droite, il est possible de rectifier ces défauts qui s’enracinent en l’homme depuis des siècles. Il pose l’espoir d’une éducation droite capable d’enseigner la vertu politique ou la vertu citoyenne.
Si nous acceptons la vision hobbesienne, et force est de constater que cette vision est la vision dominante aujourd’hui qui ne souffre quasiment d’aucune contestation sérieuse qui se traduirait en termes politiques, alors il n’y a aucun espoir de progrès politique, aucune possibilité de penser la société comme un corps politique fait de citoyens libres, égaux et fraternels. Là, nous voyons la contradiction de la République française actuelle : broyée par la vision libérale et capitaliste de l’économie et de la société, tout en se pavanant dans les rues avec les mots d’ordre « Liberté, Egalité, Fraternité », la République ne peut tenir ensemble ces contraires. Il est clair que c’est antinomique. S’il y a une crise de la République française, si plus aucun citoyen n’y croit, c’est bien en raison de la défaite de nos idéaux républicains devant le choix d’une certaine idéologie, alors même que le discours politique se nourrit encore de l’illusion de la République. C’est doublement pervers parce que finalement plus personne ne croit aux valeurs républicaines puisqu’elles sont sans cesse instrumentalisées. Au mieux, nos têtes pensantes nous traiteront de « démagogues » ou de « populistes » et certes il y en a. Enfin, pour moi, le choix de la République devrait être net et radical.
© Philarétè
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Dans sa chute la Bastille n’est pas morte, elle a éparpillée son venin sur toute l’Europe aujourd’hui embastillée dans les mailles des républiques démocratiques.
Un peuple est une composition, un nom collectif signifiant un certain nombre de personnes, une quantité de gens – le peuple guarani, le peuple yanomami ou iroquois. « Le peuple des valeurs républicains », ou le demo de la république athénienne, est toute autre chose. Le peuple, dans ce sens politique, n’existe pas inévitablement, ce n’est pas une condition anthropologique nécessaire. En fait ce « peuple » ne peut surgir qu’à une condition : un antécédent historique de superstratification – terme introduit par Alexander Rüstow dans son œuvre colossale ‘Ortsbestimmung der Gegenwart’, en anglais publié comme ‘Freedom and Domination’. Rüstow, l’un des plus grands historiens, peut-être le seul à être dédaigné para l’Encyclopédie Britannique.
Une révolution effective demande une administration et des recours financiers ; elle n’est jamais promut para « le peuple » qui est justement le stratum originellement dominé ou superstratifié et, conséquemment, embastiller dans des idéologies et démagogies ; que ce soit celles de l’ancien régime ou celles de la république démocratique. Pour avoir une idée des forces opérantes dans les coulisses de la révolution, je suggère le livre ‘La Révolution française et la Psychologie des révolutions’ par Gustave Le Bon. Faire de la politique autour d’un binôme engendré en généalogies belligérantes – d’un côté les dominants (l’élite, les tyrans, les oligarques) et de l’autre « le peuple » – n’e fait que conserver et légitimiez la structure idéologique de l’oppression, du désaccord et, d’un point de vue philosophique plus universel et humaniste, maintien un déracinement identitaire a faveur du Léviathan.
Il est bien évident que le libéralisme, d’un point de vue politique et économique, et le libertarisme, d’un point de vue civile, ne se confondent pas avec le ‘libéralisme classique’ et le ‘néolibéralisme’. Le libéralisme classique (en dehors de sa théorie économique spécifique et d’une monnaie matérielle ou sous forme de billets échangeables à la banque et sur demande, en or ou argent), agrège un élitisme anachronique d’inspiration monarchique et un culturalisme colonialiste qui méprises les richesses et grandeurs des diversités culturelles et, évidemment, méconnait l’origine interdépendante de toutes choses ainsi que les lois de l’écologie.
Le néolibéralisme est une hérésie monétariste, essentiellement défendue par Milton Friedman, qui prétends appliquer la politique économique typique du libéralisme – que exige, avant tout, une monnaie réelle et vraie, non falsifiable – dans le contexte monétaire du nouveau régime : le régime monopoliste de la monnaie d’état, fiduciaires, ou de convention ; ce qui, bien sûr, donne carte blanche aux ploutocrates et leurs associés. Et les riches enrichissent toujours plus ; quant aux autres, toujours plus fiscalisés et réduit à des recours d’état bon à tout.
Le libertarisme communautaire nie la nécessité de l’état (donc des élus et du « peuple » que l’état renferme en soi et contrôle, ainsi que de tous les fonctionnaires et fiscalistes qui profitent de l’étatisme). Le libertarisme communautaire dénonce l’étatisme et préconise le retour à une monnaie véritable, soutient une internationalisation universelle et ouverture de toutes les frontières ainsi que la propriété privé des moyens de productions mais, bien sûr, avec les réserves évidentes et nécessaires (personne n’imagine pouvoir être propriétaire d’une prairie ou d’un foret !). Les communautés libertaires sont locorégionales, multiples, régies en assemblées ouvertes ou sont définies les concessions nécessaires à la production.
L’humanité ne peut s’épanouir dans des structuras géopolitiques et sociologiques oppositives où règnent l’assujettissement, la subordination, la contrainte, l’asservissement, la soumission, la servitude et la domination. Ceci, parce que, pour l’être humain, l’homo sapiens sapiens, vivre n’est pas une imposition mais une gratuité, un choix ; donc la liberté est une valeur absolu agrégée à notre existence qui, de cette manière, se consacre ; l’humanité n’existe véritablement qu’en conditions de liberté radicale, ce qui implique un respect profond à ce qui est autre et à autrui – la compréhension que nous sommes un seul être. Moins que cela ne sera pas à la hauteur de la vérité et du plus grand destin.
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